A côté de quoi suis-je passé ?
Ma vie est un immense malentendu.
Tant que j’y pense, je voudrais vous entretenir de l’incomplétude. Ce sentiment si fort, si riche de tout ce qui lui manque par toutes ses absences, ses non-dits, arqueboutés jusqu’au jusqu’auboutisme non consommé est un maître-mot chez l’obsessionnel. L’obsession de ne pas savoir, de ne pas assez savoir, de n’avoir pas assez fait, assez dit, assez vu, assez lu, d’être incomplet. Et donc d’être en faille, en brèche ouverte où vont venir se nicher de grouillantes compagnies de spectres audacieux.
Le dictionnaire est l’un des grands fantassins de l’incomplétude. Combien de fois ai-je eu du mal à le refermer parce que, par analogie, association d’idées ou de voisinage de page, en recherchant un mot, je tombai sur cinq ou six autres qui me renvoyaient en cascade vers d’autres sources de savoir. D’où, vous qui savez maintenant, compulsion.
Compulsion et évitement, j’y viens, forcément. L’évitement : conduite sans lâcheté, seulement dictée par l’épuisement et celui à venir. C’est ce qui explique, il me semble, tout ce que je n’ai pas pu faire, non par fainéantise mais par incapacité physique et psychique (lire, écrire, dire, voir, faire, penser, échanger, rencontrer, vivre...).
Un exemple : le coucher s’est souvent trouvé retardé, reporté pour un accent à recontrôler sur un emballage de calmant ou d’hypnotique (un comble !), un logo à analyser, une couleur à interpréter. Car il faut faire très attention : il y a des "1" mal écrits qui ressemblent à des "7" et des "4" à des "9". Le sort du Monde en dépend incontestablement, non ?
L’évitement est l’une des conséquences directes des Tocs, l’une des plus cruelles peut-être.
A côté de quoi suis-je passé ? Ma vie est un immense malentendu.