Quelle meilleure référence en matière érotique et littéraire que Jeanne de Berg ?
Invitée des plateaux d'Apostrophes de Bernard Pivot, de quel auteur majeur est-elle l'épouse, qui se dissimule sans le faire derrière une voilette de tulle ? Alain Robbe-Grillet.
Jeanne de Berg alias Catherine Robbe-Grillet a sublimé le fétichisme dans "Cérémonies de femmes" (Grasset) et porté haut la bannière des sens et le hauban des sensations.
Dans ma tête, c'est une légende.
Et c'est bien de légender ses phantasmes...
Un jour, j'ai décroché mon télephone et interrogé les Renseignements.
Comme je m'étonnai de pouvoir la joindre aussi facilement, elle me dit simplement : "Vous tombez bien."
C'est aussi facile que ça, la vie ?
Deux jours plus tard, je lui adressai cette lettre :
Chère Catherine,
C'était le 18 juillet dernier. Je venais de terminer la lecture de "Entretien avec Jeanne de Berg". J'ai appelé le 12 et j'ai demandé votre numéro. On me l'a donné. je vous ai appelé. Comme j'étais ému et surpris de vous parler, vous m'avez dit simplement : "Vous tombez bien !" Ce sont vos propres mots.
Vous étiez, je crois, entre deux valises.
Nous avons abordé sans ambage le domaine du SM. je vous ai dit que, pendant longtemps, j'ai vécu cet attrait avec beaucoup de tourment.
Du refoulement est né l'angoisse.
Aujourd'hui, à 40 ans -le 5 octobre-, j'ai enfin déblayé devant ma porte et déculpabilisé vis-à-vis de cette sexualité "différente". Mais je n'en sors pas indemne : je souffre de troubles obsessionnels compulsifs qui, s'ils sont en partie maîtrisés aujourd'hui, n'en demeurent pas moins grands faiseurs de dégâts.
Essayons d'y voir plus clair.
Je suis issu d'une famille où la sexualité était un sujet tabou, occultée par de nombreux non-dits et interdits. Une mère très possessive, un père insignifiant, et surtout un phimosis mal traité -et très tard- par un médecin véreux qui a pratiqué la circoncision à vif !
Le SM m'a d'abord attiré sous la forme de fétichisme des bottes et cuissardes de cuir. Je tairai les nombreuses obsessions et frustrations à thématique sexuelle, mais vous pourrez aisément les imaginer.
Je tairai de même la carence affective et la peur des femmes.
J'ai fait des tentatives SM, des deux côtés du fouet.
Littéraire -mais études interrompues à bac moins 3-, j'ai trouvé dans l'écriture le moyen de me cramponner.
Alors, quel est l'état des lieux aujourd'hui ?
Je viens à peine de couper le cordon ombilical, mais je mesure toute l'étendue des dégâts. Une vie sociale, affective et professionnelle complètement sinistrée.
Cependant, un sursaut d'orgueil me laisse penser qu'il est encore temps de redresser la situation.
Chère Catherine, je ne vous connais pas, mais par les reflets que j'ai de vous, je vous aime.
Je suis le "papa" de plusieurs pièces de théâtre et de quelques lignes tracées ici et là...
Le 18, nous avons parlé de théâtre.
J'ai évoqué cette photo mythique prise devant les éditions de Minuit où votre mari voisinne avec Beckett et Sarraute.
Nous avons parle de "Pour un oui pour un non." J'aime beaucoup. Vous aussi, je crois ?
Alors, pourquoi cette lettre ?
Vous avez bien d'autres chats à fouetter, mais je me fais plaisir.
Peut-être serai-je mort quand vous la recevrez ?
Qui peut savoir ?
Qui a les règles du jeu ?
Il me semble que la lente dégradation des moeurs ne vient pas des déviants, mais de la multitude de médiocres qui s'affadissent et se complaisent dans du sexe banalisé, mercantilisé.
La chair est devenue plus que triste.
Sans nos défauts d'esthète -ne faire l'amour, n'obtenir la jouissance que par les muqueuses de la tête-, nous serions passés à côté des Pauline Réage, Luis Bunuel, Vanessa Duriès et même Beckett !
Qu'est-ce que je veux prouver ? Rien. J'avais envie de vous écrire. Si vous me répondez, je serai content. Si vous ne me répondez pas, je serai malheureux, mais vous ai-je au moins posé une question ?
A l'affirmation : "Je vous trouve très belle." (et même de dos, dans le portrait si convoité de la couvrante de Libé), vous m'avez répondu : "J'ai été très belle." Eté : participe "pressé". Le temps court. Vous me dites voyager beaucoup : où êtes-vous ? Que faites-vous ?
(...)
Avec tous mes hommages, je vous prie de croire, chère Catherine, en l'expression sincère de mes admiratives salutations.
Joël Fauré
---
Je joignai à ce pli un article de presse qui m'était consacré.
Quelques jours plus tard, j'avais un message sur mon répondeur :
Message du ... reçu dimanche 8 septembre 2002 à 21 h 50 :
"Et bien, j'espère que je suis bien sur la messagerie de Joël Fauré. C'est Jeanne de Berg à l'appareil. J'ai bien reçu votre courrier. Je voulais tout simplement vous en parler... et vous demander entre autres sur la photocopie de l'article que vous m'avez envoyé, si vous êtes le personnage à gauche ou le personnage à droite ? Euh... J'imagine que vous êtes plutôt celui de gauche : est-ce que je me trompe ?
Voilà... Vous pouvez me rappeler éventuellement, et bien au numéro que vous connaissez, à la campagne où je serai jusqu'à vendredi. Voilà... Vous avez... Pour me trouver, le mieux, c'est d'appeler vers euh... vers 14 h 30, voilà. Ou alors le soir assez tard.
A bientôt peut-être...
---
Suis-je personnage à gauche ?
Ai-je rappelé Jeanne de Berg ?