C'était le samedi. Je chopais Libé sur le tourniquet de la marchande, comme on décroche un pompon au manège. N'était le lieu, j'aurais bien humé à plein nez le papier à l'encre séchée de peu dans les fourgons des Nouvelles Messageries de Presse, et caressé la chair de poule en bas de page.
Mais ma mère m'attendait dans la voiture, et elle allait me lancer son "Dépêche-toi, il faut encore passer à Unico."
Du coup, je zappais sur la une du Fig-Mag et de L'Huma. Le journal au losange rouge se retrouvait voisin de "La Dépêche du Midi", et nous filions chez l'épicier acheter des pilchards.
J'étais alors un gros garçon joufflu de la campagne, bon rougeaud roteur d'ail, bon puceau qui demandait à ne plus l'être -mais ça tardait, et l'offre et la demande ont des caprices-.
Pendant que mon père lisait les annonces nécrologiques de "La Dépêche du Midi", histoire de savoir si des classards n'avaient pas passé l'arme à gauche, moi, je plongeai tout habillé dans le marigot des annonces "chéries" de Libé.
Alors s'allumaient les lampions d'une fête clandestine. Ce que je guettais, surtout, au milieu du casting de fascinants personnages, et de baroques décors, c'était, dans le magasin des accessoires, les dix lettres du mot magique :
C, U, I, S, S, A, R, D, E, S.
A travers les trous de la palissade, je hasardai un oeil sur les terrains de jeux interdits. La lecture secrète me laissait écartelé entre la fascination et la répulsion. J'étais coupable de mauvaises lectures et de mauvaises pensées. Pourtant, d'autres y pensaient aussi, puisque étaient imprimés, là, les mots exacts qui reflétaient mes désirs.
J'ai appris qu'un désir peut se différer. Pas un besoin.
Je repliais Libé dans la chambre, et j'allais dans la cuisine résoudre les mots croisés du Pèlerin, pendant que ma mère préparait ses pilchards aux oignons.
Mais comment réfréner le galop de mon imagination et juguler le flux cérébral de mes fantômes en suaires blancs et cuissardes noires ?
Sur la route qui conduit à Saint-Supplice, je pensais cuissardes.
Dans mon lit, au coucher, au réveil, et parfois entre le sdeux, je pensais cuissardes.
Devant la télé allumée et une émission de variétés, je pensais cuissardes (je me disais qu'une jeunesse nouvelle, aux cuisses chantantes, allait bien en porter.)
A la fête foraine, devant l'estrade que je frôle ; où le bal, tout-à-l'heure, rejouira, je pensais cuissardes. (il y aura bien une danseuse qui, dans le car de l'orchestre, en enfilera une paire.)
A la fin du mois d'août, devant les vitrines des "chaussureries", je pensais cuissardes.
Bref, je me découvrai fétichiste monomaniaque obsessionnel. Il aurait été vain de le nier.
"Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?"
Germèrent alors dans mon imagination ces texticules malmenés par la langue, tarifés à la lettre, à l'espace, donc férocement tronqués, comme la femme sciée en deux au cirque Amar.
Part. rech. BCBG ht niv. soc. cult. max. blde jne shte et. sup. div. dom. min. pr dial. ds bi ss enf. svp npn fum. hum. si aff. raff. tts rég. tb rép. ass. rel. dur. gd yx bl. phot. disc. disp. lib. sér. sinc. aim. nat. an. voy. auth. harm. s/s tt rap. équil. qual. exp. dist. éleg. ouv. ssuel id. soum. we prof. lib. mar. div. sado maso SM EA JH JF H F A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z
Ainsi, tout est possible. Comme dans la vie.
(A suivre...)
Joël Fauré
Ce texte est dédié à O (une femme sans histoire) de Libé.
Elle se reconnaîtra.