8 mai 2007 2 08 /05 /mai /2007 15:23

Cet épisode est dédié à J.-C. A., injustement "remercié" de France Inter. Son émission "Les choses de la nuit" reste pour moi fondatrice et mythique.

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Le poutour du pigeonnier s'irisait des couleurs de la nature : le vert, le bleu et le jaune. Betty se savait sensible et atteinte par les beautés de la Terre, et en esthète pas seulement d'intérieur, elle portait des soins attentifs à ses jardins et ses bottes secrets. Elle contemplait une rose lorsque le facteur passa. Une lettre était festonnée du sigle de sa radio préférée. Betty était attendue à paris, mercredi en quinze, pour l'enregistrement convoité de "Postier de Nuit."

Paris est beau. Paris est belle. Paris sent le sperme puisque c'est là qu'il y a le plus d'éjaculations, en densité s'entend. C'est une question de démographie, pas d'anatomie, ni de moeurs. Or, ce soir, Paris sent le seringat, et c'est très bien. C'est selon ce qu'on a dans la tête. Betty aimerait pouvoir parler autant du musc de la mauve et de la violette que du foutre chaud. Elle aimerait que ce soit pareil. Elle est écartelée entre deux abîmes que seuls les oiseaux relient sans mal. Tout serait si simple si cul de lampe ou de bouteille et trou du cul de la France, c'était même combat. Il existe des singes qui se sucent entre eux et n'ont jamais de dépression nerveuse. Tout-à-l'heure, au micro, elle s'essaiera pornocrate, érotomane, sans langue de bois. Les auditeurs interviondront-ils ? Ils sont en général friands de programmes d'en dessous la ceinture. De toute façon, elle tirerait un bénéfice secondaire, sauf contre prestation, de son passage sur les ondes. Si elle ne servait pas ses évolutions tarifées, elle donnerait à entendre ses ambitions littéraires. Elle avait le choix des mots.

L'animatrice, blonde et joyeuse, détendit l'atmosphère avant que ne s'allume une lumière rouge, fanal qui indiquait que tout ce qui allait être dit maintenant serait entendu partout où se pourra. Où se voudra. Autour de la table ovoïde avaient pris place Betty, un psy, un couple d'échangistes, un abstinent et un transsexuel. Il était bien entendu que chacun pourrait y aller de son refrain, avec ses formules et ses tics de langage, ses enthousiasmes et ses maladresses. Parole fut donnée au psy qui parla d'emblée d'identité sexuelle. Le couple échangiste parla latex ; l'abstinent se drapa de lin blanc et de probité candide, et cita Saint-Augustin ; le transsexuel parla chiffon et silicone. Quant à Betty, elle fut tout à fait remarquable, tant par la finesse et l'élégance des propos tenus que par le fond des idées avancées. Elle voulait absolument employer deux mots : "épanouissement" et "empathie." Elle y parvint. "je dirai qu'il faut pour s'épanouir vivre pleinement sa sexualité. Je m'efforce de comprendre celles et ceux qui ne me ressemblent pas. C'est un grand trésor que d'avoir de l'empathie."

L'émission fut belle, intelligente, d'une grande tenue. Elle pourfendit l'intolérance. Au sortir du studio, Betty s'arrêta à la machine à café et se fit couler un "court sucré". Elle savourait ses premières palmes académiques d'oratrice, rassurée de ce que la bouche, les lèvres, la langue ne fussent pas seulement au service d'une seule sensualité.

 

La vraie voie tracée pour Betty n'était pas seulement jalonnée de rencontres bizarres. Elle le savait. Ses luttes intérieures la ramenaient hors des sentiers battus, dans une campagne douce et paisible, une nature généreuse et riante. Et saine. Viendrait bientôt le temps où seul le verbe serait supérieur à la chair. Ses jouissances étaient plus sèches mais plus fortes. Elle s'enthousiasma notamment à la lecture d'un livre qui la fit vibrer et s'émouvoir : "Les âmes grises" de Philippe Claudel. Pour en retrouver la saveur et terminer de le dévorer, elle décommanda plusieurs rendez-vous de ce qu'elle commença à appeler ses "tordus"... Betty se voyait congédier le lapin blanc d'Alice au pays des merveilles. Pourquoi se sentait-elle alternativement si bien et si mal dans cette alvéole perverse du SM ? Une spirale peut-elle devenir une auréole ? "Serai-je un jour irrémédiablement guérie de cette double aimantation qui se repousse ou fait ventouse ?" pensait Betty. "Je veux serrer un homme dans mes bras sans avoir à le lui tordre. Ma mère a raison. J'ai emprunté une déviation d'itinéraire."

Betty était allongée sur son lit, tout en haut du pigeonnier. Elle se donnait rendez-vous avec le hasard. Elle ne brusquait rien, ne consultait rien. La boîte aux lettres, pleine ; la messagerie du téléphone, saturée ; la boîte éléctronique de l'ordinateur, hautement courrielisée ne lui procuraient aucune envie d'en savoir plus. Elle laissa le virtuel là où il est et regardait le plafond blanc, plus porteur de beaux projets.

Betty n'ignorait pas qu'il faudrait opérer un basculement lent si elle voulait changer de position. Pour se ranger des fouets, pour en finir avec des "actes de torture et de barbarie" qui pouvaient à tout instant, en cas de dérapage, la conduire sur la paille humide des cachots Républicains, elle avait à faire des réglages fins.

Divers faits-divers sordides vinrent conforter son appréhension. des scènes sado-maso qui tournent mal firent la une des journaux, friands de sensationnnel.

Alors Betty devint vraiment très sombre. Elle s'englua dans une profonde mélancolie. Elle éprouva une culpabilité qui la tenaillait ainsi qu'un étau. C'était quoi toute cette mauvaise comédie qu'elle avait jouée, cette pièce abjecte, ce cirque cruel fait de fosses aux lions et de massacres de chrétiens ?

(A suivre)

Joël Fauré

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commentaires

A
Votre "déviation d'itinéraire", vos "choses de la nuit" me font subitement penser à la bétaillère des "Choses de la vie", de Paul Guimard, magistralement mis en scène par Claude Sautet, bétaillère qui en quelques secondes change tragiquement, comme on le sait, le cours d'un destin.
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