10 mai 2007
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Maîtresse de céans en tenue d'apparat, Betty n'était pas encore devenue Betty partout, à tous les degrés du Pigeonnier. Au milieu de la demeure, elle sentait naître des envies, des désirs et des
besoins. Il suffisait qu'elle tombât sur une image suggestive pour que, de nouveau, Sade et Masoch, le Marquis et le Baron, vinssent la relancer dans l'aristocratie. Alors se produisait cet
écartèlement qui la rendait schizophrène. Reine des derniers salons où l'on suce, elle avait des soudaines démangeaisons de l'entrecuisse et des envies d'orgasmes à hurler.
Alors, elle pensait à sa mère.
Alors, elle pensait à son père.
Elle se souvint du temps où la sexualité ne la tourmentait pas puisqu'elle était absente de ses pensées. Elle était heureuse et insouciante avec ses poupées, le berlingot de toutes les couleurs, Belle et sébastien à la télévision et Skippy le kangourou. Heureuse et émerveillée la veille de Noël, le jour des vendanges, la semaine où elle savait qu'au bout, elle partirait en famille dans l'Aveyron. Rien ne filtrait des choses tarabiscotées des histoires de cul, qui font mal, si mal, si mal, toujours, toujours, ou si bien, si bien, tellement bien, et encore, c'est rien de le dire ou de l'écrire... Ce sont des choses qui se vivent. S'expliquent à peine. Avec peine.
Pôle Est. Pôle Ouest. C'est la guerre froide. Au thérapeute qui la suit, en qui elle a toute confiance, quand il lui demande : "Comment ça va ?'", elle répond invariablement ; "Ca va...rie." C'est résumer la situation. Comment résoudre la quadrature du cercle vertueux quand on n'a qu'une seule envie, c'est de couper aux cours de math, comme la sécante. Betty cherche un sens à sa vie. Betty se cherche. Exigeante et excessive, elle voudrait fuir. Mais où ? Elle reprend la plume. Elle écrit. Elle est heureuse d'avoir écrit. Elle arpente les allées des librairies. Elle fend quelques tranches de papier frais, lit quelques lignes, se dit que beaucoup écrivent beaucoup plus mal qu'elle, et arrivent à publier. Ils couchent ? Des mots sur le papier, bien entendu. Ils noircissent des écrans blancs 17 pouces ou des A 4 cerfs-volants. Elle se demande qu'elles sont les articulations qui la font le plus souffrir, celles de ses idées, sous le chapeau de ses névroses ; celles de ses genoux, sous le cuir des cuissardes ; celles de ses doigts qui alignent des mots pour faire nombre. Qui entre en elle en priorité ?
Betty écrivait : "Je confiai un mouchoir dans la main d'un homme et me mettais à le fouetter. En rafales. J'y prenais plaisir. Je savais que je pouvais y aller tout mon soul, à bras raccourcis, car le signal d'arrêt dont nous avions convenu était sans appel, visuel et définitif. Lorsqu'il lâcherait le mouchoir, je lâcherai le fouet. Je flagelleais en toute confiance, tout en gardant le contrôle de la situation.
A plusieurs reprises, je vis mon cinglé serrer très fort le mouchoir, mais il ne l'abandonna pas. J'avais donc du crédit. Je pivotai dans mes cuissardes, comme un jacquemart, et faisait amplement aller et venir la lanière sur le dos et les fesses. Le jeu a ses codes, ses règles, ses limites. Tout de suite après une zébrure, la demande de grâce me parvint distinctement : je vis le mouchoir tourbillonner comme une feuille morte et choir sur la moquette. Je cessai aussitôt de battre. J'étais moins déséquilibrée qu'une épouse possessive qui, sous des aspects engageants, fait vivre à son mari une vie d'enfer avec de copieux assaisonnements verbaux.
La femme qui vit et la femme qui écrit sont-elles la même ? Betty lisait, écrivait, fouettait, avait fouillé divers culs, savait la merde et le sperme du monde, avait fait cracher des lamas, plumé des pigeons, fait baver des crapauds, des escargots, de gros rougeauds à triple-menton roteurs d'ail, des cornus de la fanfare "bites, biroutes et compagnie", des majorets poilus aux gambettes, prestataires des fêtes votives, mounjetades, sardinades, cargolades, anchoïades... Oui, elle avait éclairé le trou du cul de bien du monde, avec des poils luisants encore crantés de crotte. Elle s'était aventuré là où papa-maman lui avaient dit de ne pas s'aventurer. Elle en était revenue toute rutilante du dépassement de soi avant de devenir anéantie d'humiliation.
(A suivre)
Raoul Jefe
Alors, elle pensait à sa mère.
Alors, elle pensait à son père.
Elle se souvint du temps où la sexualité ne la tourmentait pas puisqu'elle était absente de ses pensées. Elle était heureuse et insouciante avec ses poupées, le berlingot de toutes les couleurs, Belle et sébastien à la télévision et Skippy le kangourou. Heureuse et émerveillée la veille de Noël, le jour des vendanges, la semaine où elle savait qu'au bout, elle partirait en famille dans l'Aveyron. Rien ne filtrait des choses tarabiscotées des histoires de cul, qui font mal, si mal, si mal, toujours, toujours, ou si bien, si bien, tellement bien, et encore, c'est rien de le dire ou de l'écrire... Ce sont des choses qui se vivent. S'expliquent à peine. Avec peine.
Pôle Est. Pôle Ouest. C'est la guerre froide. Au thérapeute qui la suit, en qui elle a toute confiance, quand il lui demande : "Comment ça va ?'", elle répond invariablement ; "Ca va...rie." C'est résumer la situation. Comment résoudre la quadrature du cercle vertueux quand on n'a qu'une seule envie, c'est de couper aux cours de math, comme la sécante. Betty cherche un sens à sa vie. Betty se cherche. Exigeante et excessive, elle voudrait fuir. Mais où ? Elle reprend la plume. Elle écrit. Elle est heureuse d'avoir écrit. Elle arpente les allées des librairies. Elle fend quelques tranches de papier frais, lit quelques lignes, se dit que beaucoup écrivent beaucoup plus mal qu'elle, et arrivent à publier. Ils couchent ? Des mots sur le papier, bien entendu. Ils noircissent des écrans blancs 17 pouces ou des A 4 cerfs-volants. Elle se demande qu'elles sont les articulations qui la font le plus souffrir, celles de ses idées, sous le chapeau de ses névroses ; celles de ses genoux, sous le cuir des cuissardes ; celles de ses doigts qui alignent des mots pour faire nombre. Qui entre en elle en priorité ?
Betty écrivait : "Je confiai un mouchoir dans la main d'un homme et me mettais à le fouetter. En rafales. J'y prenais plaisir. Je savais que je pouvais y aller tout mon soul, à bras raccourcis, car le signal d'arrêt dont nous avions convenu était sans appel, visuel et définitif. Lorsqu'il lâcherait le mouchoir, je lâcherai le fouet. Je flagelleais en toute confiance, tout en gardant le contrôle de la situation.
A plusieurs reprises, je vis mon cinglé serrer très fort le mouchoir, mais il ne l'abandonna pas. J'avais donc du crédit. Je pivotai dans mes cuissardes, comme un jacquemart, et faisait amplement aller et venir la lanière sur le dos et les fesses. Le jeu a ses codes, ses règles, ses limites. Tout de suite après une zébrure, la demande de grâce me parvint distinctement : je vis le mouchoir tourbillonner comme une feuille morte et choir sur la moquette. Je cessai aussitôt de battre. J'étais moins déséquilibrée qu'une épouse possessive qui, sous des aspects engageants, fait vivre à son mari une vie d'enfer avec de copieux assaisonnements verbaux.
La femme qui vit et la femme qui écrit sont-elles la même ? Betty lisait, écrivait, fouettait, avait fouillé divers culs, savait la merde et le sperme du monde, avait fait cracher des lamas, plumé des pigeons, fait baver des crapauds, des escargots, de gros rougeauds à triple-menton roteurs d'ail, des cornus de la fanfare "bites, biroutes et compagnie", des majorets poilus aux gambettes, prestataires des fêtes votives, mounjetades, sardinades, cargolades, anchoïades... Oui, elle avait éclairé le trou du cul de bien du monde, avec des poils luisants encore crantés de crotte. Elle s'était aventuré là où papa-maman lui avaient dit de ne pas s'aventurer. Elle en était revenue toute rutilante du dépassement de soi avant de devenir anéantie d'humiliation.
(A suivre)
Raoul Jefe