17 mai 2007
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11:30
Pièce radiophonique qui peut être adaptée pour le plateau.
Personnages :
A : un homme
B : un homme
(A suivre.)
Raoul Jefe
Personnages :
A : un homme
B : un homme
A : Tu es vraiment sûr de ça ?
B : Ecoute, tu me connais. Je n'ai pas l'habitude de te faire déplacer pour rien.
A : Non, mais ça me paraît tellement surréaliste. Tu te rends compte ? Tu m'appelles, tu me dis : "Viens me voir. Je voudrais vivre mes derniers instants avec toi. La mort doit passer me prendre à quinze heures." Je te jure, j'ai cru un moment que tu étais devenu fou.
B : Non, au contraire. Je n'ai jamais été aussi lucide. Par le passé, je t'ai fait des propositions bien plus saugrenues, et tu n'as pas bronché.
A : Je te connais. Je sais que tu es...
B : Et bien, dis le, un peu spécial ?
A : J'ai fini par te cerner. Je sais comment tu fonctionnes.
B : Sers moi à boire.
(Bruit de liquide.)
B : Ah ! Ca se place bien.
A : Tu as mangé ?
B : J'ai bâfré, tu veux dire. Tant pis pour les thanatopracteurs. De toute façon, ils sont bien payés.
A : Les quoi ?
B : Les thanatopracteurs. Tu ne sais pas ce que c'est ?
A : Je compte sur toi pour me le dire.
B : Ce sont ceux qui rendent les morts beaux. Des maquilleurs, si tu veux...
A : Et, dis-moi, tu sais de quoi tu vas mourir ?
B : Comment ça ?
A : Qu'est-ce qui va flancher d'abord ? Le coeur ? La tête ?
B : J'en sais trop rien. A mon avis, c'est le coeur. Le coeur, c'est une pompe, et seulement une pompe. Le cerveau, lui, est un petit
malin.B : Ecoute, tu me connais. Je n'ai pas l'habitude de te faire déplacer pour rien.
A : Non, mais ça me paraît tellement surréaliste. Tu te rends compte ? Tu m'appelles, tu me dis : "Viens me voir. Je voudrais vivre mes derniers instants avec toi. La mort doit passer me prendre à quinze heures." Je te jure, j'ai cru un moment que tu étais devenu fou.
B : Non, au contraire. Je n'ai jamais été aussi lucide. Par le passé, je t'ai fait des propositions bien plus saugrenues, et tu n'as pas bronché.
A : Je te connais. Je sais que tu es...
B : Et bien, dis le, un peu spécial ?
A : J'ai fini par te cerner. Je sais comment tu fonctionnes.
B : Sers moi à boire.
(Bruit de liquide.)
B : Ah ! Ca se place bien.
A : Tu as mangé ?
B : J'ai bâfré, tu veux dire. Tant pis pour les thanatopracteurs. De toute façon, ils sont bien payés.
A : Les quoi ?
B : Les thanatopracteurs. Tu ne sais pas ce que c'est ?
A : Je compte sur toi pour me le dire.
B : Ce sont ceux qui rendent les morts beaux. Des maquilleurs, si tu veux...
A : Et, dis-moi, tu sais de quoi tu vas mourir ?
B : Comment ça ?
A : Qu'est-ce qui va flancher d'abord ? Le coeur ? La tête ?
A : Tu crois que quand on meurt on s'étouffe ?
B : Ma mère me posait la même question. Ca l'effrayait. De toute façon, la mort n'arrive jamais quand on est au plus mal. Elle arrive au mieux du bien.
A : Je reconnais là ta manie de t'emberlificoter avec des mots. Tu sais, ça n'a pas été toujours facile de te suivre. Tu étais insaisissable.
B : Tu peux parler. Si tu crois que toi, tu avais bon caractère?
A : Tu parles de moi au passé. Je ne suis pas mort, moi. Tu es vraiment trouble-fête.
B : Tu viens de me dire que tu savais comment je fonctionnais.
A : Oui, mais là, tu me cherches.
B : Tu es susceptible. Un seul mot te blesse.
A : On se fâche tout de suite ou on attend encore un peu ?
B : Je te laisse une petite chance. Bon, on va passer aux choses sérieuses. Le boulot et l'argent. Pour le boulot, j'ai écrit plusieurs chroniques d'avance. Fais-moi plaisir. Fais les paraître dans les éditions des jours qui viennent. Pour la nécro, tu feras comme bon te semble. Elle est prête, elle est au rayon des viandes froides. Pour l'argent, je me rends compte que j'ai bien fait de me faire placer sous tutelle.
A : Voilà justement une chose que je n'ai jamais comprise. Pourquoi t'es-tu fait placer sous tutelle ?
B : Tu peux pas savoir le confort que ça apporte. Plus de terreur d'ouvrir les lettres de relance. De toute façon, à la fin, je n'ouvrais plus rien. Plus de pénalités de retard, de derniers avis avant poursuite, de saisies sur tiers-détenteur, de menaces de toutes sortes, et j'en passe et des meilleures. Tu le sais, si les lettres sont des amies fidèles, je suis toujours en froid avec les chiffres. Et le passage à l'euro n'a rien arrangé. Je préfère le verbe être au verbe avoir. On m'a reproché de me "découvrir" par respect pour ceux que j'aime. Bon, c'est vrai, ça m'a joué des tours. Mais au moins, j'ai un comptable personnel agréé et payé par le gouvernement.
A : Tu oublies de dire que tu ne peux pas voter.B : Ma mère me posait la même question. Ca l'effrayait. De toute façon, la mort n'arrive jamais quand on est au plus mal. Elle arrive au mieux du bien.
A : Je reconnais là ta manie de t'emberlificoter avec des mots. Tu sais, ça n'a pas été toujours facile de te suivre. Tu étais insaisissable.
B : Tu peux parler. Si tu crois que toi, tu avais bon caractère?
A : Tu parles de moi au passé. Je ne suis pas mort, moi. Tu es vraiment trouble-fête.
B : Tu viens de me dire que tu savais comment je fonctionnais.
A : Oui, mais là, tu me cherches.
B : Tu es susceptible. Un seul mot te blesse.
A : On se fâche tout de suite ou on attend encore un peu ?
B : Je te laisse une petite chance. Bon, on va passer aux choses sérieuses. Le boulot et l'argent. Pour le boulot, j'ai écrit plusieurs chroniques d'avance. Fais-moi plaisir. Fais les paraître dans les éditions des jours qui viennent. Pour la nécro, tu feras comme bon te semble. Elle est prête, elle est au rayon des viandes froides. Pour l'argent, je me rends compte que j'ai bien fait de me faire placer sous tutelle.
A : Voilà justement une chose que je n'ai jamais comprise. Pourquoi t'es-tu fait placer sous tutelle ?
B : Tu peux pas savoir le confort que ça apporte. Plus de terreur d'ouvrir les lettres de relance. De toute façon, à la fin, je n'ouvrais plus rien. Plus de pénalités de retard, de derniers avis avant poursuite, de saisies sur tiers-détenteur, de menaces de toutes sortes, et j'en passe et des meilleures. Tu le sais, si les lettres sont des amies fidèles, je suis toujours en froid avec les chiffres. Et le passage à l'euro n'a rien arrangé. Je préfère le verbe être au verbe avoir. On m'a reproché de me "découvrir" par respect pour ceux que j'aime. Bon, c'est vrai, ça m'a joué des tours. Mais au moins, j'ai un comptable personnel agréé et payé par le gouvernement.
B : (Grand rire.) Arrête ! Tu vas me faire mourir de rire ! Il y a longtemps que je ne vais plus à Guignol. Sers-moi plutôt à
boire.
(Bruit de liquide.)
B : Et puis, je vais te faire une confidence. Ma gérante de tutelle, elle est plutôt canon, et je l'ai dans la manche. Et elle est bonne. Et pas seulement pour les banalités. Les parties de jambes en l'air, les petites gâteries... Non, je veux te parler des spécialités.
A : Bon, ça va. J'ai compris.
B : Quelle heure est-il ?
A : Bientôt quinze heures.
B : Toujours rien.
(Bruit de liquide.)
B : Et puis, je vais te faire une confidence. Ma gérante de tutelle, elle est plutôt canon, et je l'ai dans la manche. Et elle est bonne. Et pas seulement pour les banalités. Les parties de jambes en l'air, les petites gâteries... Non, je veux te parler des spécialités.
A : Bon, ça va. J'ai compris.
B : Quelle heure est-il ?
A : Bientôt quinze heures.
B : Toujours rien.
A : Elle a dit "A quinze heures" ou "Vers quinze heures" ?
B : Je ne me souviens plus très bien. Tu sais, elle m'a paru très confuse. Comment te dire ? un peu speedée, comme on dit aujourd'hui, surbookée...
A : Elle a une jolie voix ?
B : Je ne me souviens plus très bien. Tu sais, elle m'a paru très confuse. Comment te dire ? un peu speedée, comme on dit aujourd'hui, surbookée...
A : Elle a une jolie voix ?
B : Assez jolie, je dois dire, oui. Il te tarde de l'entendre ?
A : Non, je disais ça comme ça.
B : Oui, bien sûr. On dit tous ça. En fait, tu te renseignes, tu te prépares...
A : Tu sais...
B : Oui ?
A : non, rien.
(Un temps.)
A : Tu veux que je te suce ?
B : Non, de ce côté là, je suis sec. J'ai été sucé hier soir.
A : Qu'est-ce que je peux faire pour te faire plaisir ?
B : Rien de plus que ce que tu fais. Tu es la personne à qui j'ai pensé pour vivre mes derniers instants. Ca ne te suffit pas ?
A : Si. Je suis touché. Mais pourquoi moi ?
B : Je ne sais pas. La façon que tu as d'aborder la vie. Le son de ta voix. Ta douceur, ta folie, tes paradoxes... Tes faux scrupules, ton humour... Ton ouverture d'esprit... Ta peur de tout. Ta peur de rien...
A : Non, je disais ça comme ça.
B : Oui, bien sûr. On dit tous ça. En fait, tu te renseignes, tu te prépares...
A : Tu sais...
B : Oui ?
A : non, rien.
(Un temps.)
A : Tu veux que je te suce ?
B : Non, de ce côté là, je suis sec. J'ai été sucé hier soir.
A : Qu'est-ce que je peux faire pour te faire plaisir ?
B : Rien de plus que ce que tu fais. Tu es la personne à qui j'ai pensé pour vivre mes derniers instants. Ca ne te suffit pas ?
A : Si. Je suis touché. Mais pourquoi moi ?
B : Je ne sais pas. La façon que tu as d'aborder la vie. Le son de ta voix. Ta douceur, ta folie, tes paradoxes... Tes faux scrupules, ton humour... Ton ouverture d'esprit... Ta peur de tout. Ta peur de rien...
A : Attends, tu te fous de moi, là ?
B : Mais non, je t'assure ! Il faut bien que tout se termine un jour. On le sait tous. Il se trouve que j'ai été pré-ve-nu. Et la première personne à qui j'ai pensé, c'est toi. Ne m'en demande pas plus. Tu penses que je me suis trompé, que tu n'es pas la bonne personne ? Tu te trompes. Ca ne se commande pas. Je t'ai téléphoné. Tu m'as dit : "Je viens". Et tu es venu. Tu es là. C'est bien, non ?
A : Oui, c'est bien... C'est bien. Ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est que tu vas mourir alors que tu es bonne santé.
B : (Il se met en colère.) Mais non, je ne suis pas en bonne santé. Je n'ai jamais été en bonne santé. Justement, je donne le change. C'est ça, le drame. Je pourrai adhérer à une douzaine d'associations de patients. D'abord, j'ai eu une méningite, à seize mois. La médecine m'avait condamné.
A : Elle a fait de toi un beau sursitaire.
B : Tais-toi ! Et après, ça n'a pas cessé : névrose, cyphose, psoriais, phimosis, circoncision, hypertension...
B : Mais non, je t'assure ! Il faut bien que tout se termine un jour. On le sait tous. Il se trouve que j'ai été pré-ve-nu. Et la première personne à qui j'ai pensé, c'est toi. Ne m'en demande pas plus. Tu penses que je me suis trompé, que tu n'es pas la bonne personne ? Tu te trompes. Ca ne se commande pas. Je t'ai téléphoné. Tu m'as dit : "Je viens". Et tu es venu. Tu es là. C'est bien, non ?
A : Oui, c'est bien... C'est bien. Ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est que tu vas mourir alors que tu es bonne santé.
B : (Il se met en colère.) Mais non, je ne suis pas en bonne santé. Je n'ai jamais été en bonne santé. Justement, je donne le change. C'est ça, le drame. Je pourrai adhérer à une douzaine d'associations de patients. D'abord, j'ai eu une méningite, à seize mois. La médecine m'avait condamné.
A : Elle a fait de toi un beau sursitaire.
B : Tais-toi ! Et après, ça n'a pas cessé : névrose, cyphose, psoriais, phimosis, circoncision, hypertension...
A : Hypocondrie, tutti quanti...
B : Tu te crois drôle ?
A : Non, je suis très sérieux. Tiens, j'ai lu une information qui va te le prouver. Sais-tu que les personnes qui se lavent les dents quatre fois par semaine ont deux fois plus de risque de faire un accident vasculaire cérébral que celles qui ne se les lavent que trois fois ?
B : Et sais-tu que les cancereux sont des hypocondriaques qui ont trop bu et trop fumé pour oublier qu'ils étaient hypocondriaques ?
A : Un partout.
B : Tu te crois drôle ?
A : Non, je suis très sérieux. Tiens, j'ai lu une information qui va te le prouver. Sais-tu que les personnes qui se lavent les dents quatre fois par semaine ont deux fois plus de risque de faire un accident vasculaire cérébral que celles qui ne se les lavent que trois fois ?
B : Et sais-tu que les cancereux sont des hypocondriaques qui ont trop bu et trop fumé pour oublier qu'ils étaient hypocondriaques ?
A : Un partout.
(A suivre.)
Raoul Jefe