28 mai 2007
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Avec ces "carnets", écrits dans l'urgence et la compulsion (à partir de 1993), Raoul Jefe a voulu rebrousser sa route pour en
comprendre les cahots.
Ces textes sont nés d'un premier jet et n'ont subi aucune retouche.
Parce qu'il lui a semblé que son expérience de vie pouvait avoir valeur de témoignage, et servir de révélateur à d'autres, il a assez vite déblayé le scrupule de paraître narcissique ou exhibitionniste.
LES BOTTES SECRETES
Fétichisme : remplacement de l'objet sexuel par un fétiche.
Fétiche : objet inanimé ou partie de corps non sexuelle capables de devenir à eux seuls objets de sexualité. (Petit Larousse)
Le fétichisme va remplacer la sexualité absente. Le cuir, son contact sur la peau, les jambes, les genoux, les cuisses s'est substitué aux grains de peau auxquels j'aurais dû veiller.
Le cuir, les bottes, les cuissardes... Comme dans mes premiers rêves-pollutions nocturnes où j'enfilais les bottes de septs lieues. Les bottes-cuissardes : d'Artagnan, Scaramouche, Fanfan le Tulipe, Michel Fugain, Francis Lalanne en sont porteurs : pourquoi pas moi ? Et Monsieur Loyal, au cirque, n'a-t-il pas les tarses calés dans des bottes carénées comme des paquebots de croisière ? N'avais-je pas fait du théâtre ? Et du cirque ? Où est le plaisir ? Où était le porte-à-faux ? Bien sûr, porter des bottes me rappellerait leur connotation sexuelle ; porter des bottes, cela équivalait à jouer : peu importe le théâtre, le cirque, la piste ou la scène : c'était jouer à se faire plaisir.
Encore une fois, je ne me posai aucune question. Comme d'autres s'offrent en cadeau une planche à voile ou un camescope, je fis confectionner chez un bottier toulousain une paire de bottes-cuissardes en cuir souple de veau. En les enfilant, à quoi pensais-je ? Qu'elles me procuraient l'agréable sensation d'une matière noble et sensuelle, placebo de la douce peau des femmes ? Ou qu'elles me promulguaient mousquetaire, pirate ou maître de manège ? Attributs dérisoires et morbides, substituts de seconde classe, j'aimais les porter, ces bottes-cuissardes dans lesquelles je glissais le pantalon.
Toutefois, je ne les portais jamais en présence de mon entourage ou de connaissances. Mais de temps à autre, je les faisais marcher et leur faisais prendre l'air et fouler des lieux où je savais qu'il serait surprenant de rencontrer père, mère, oncle ou cousin.
J'étais souvent passé, sans m'arrêter, devant une aire de repos, sur la Route Nationale : cet espace me paraissait tout indiqué pour marcher à mon aise et faire jouer mes jambes dans les grandes bottes.
Je garai ma voiture sur l'aire, près des latrines, où j'entrai, pour satisfaire une instance de la nature.
Les murs étaient recouverts d'inscriptions obscènes et d'offres de service peu ragoûtantes. Je sortis de l'édicule, écoeuré. Plus loin, un camion stationnait ; son chauffeur était au volant. J'entrepris de faire quelques pas. Ce que voyant, le routier descendit de son véhicule pour venir dans ma direction, à ma rencontre. Lorsqu'il arriva à ma hauteur, il me regarda furtivement et, devant mon étonnement, sembla gêné. Je tournai les talons pour remonter dans ma voiture et quitter les lieux.
Très intrigué par ce manège et par ce lieu, une curiosité me ramena sur le terrain. Le camion était toujours là ; son chauffeur était remonté dans la cabine. Je garai ma voiture et entrai de nouveau dans les lieux d'aisance. Et là, je pus enfin m'apercevoir de la confusion : là, sur le mur qui n'avait pas que des oreilles, le routier avait ripoliné ses ambitions : il invitait ceux qui le souhaitaient à venir le retrouver sur la banquette pour des "choses" qui se laissent aisément imaginer. Tout-à-l'heure persuadé que j'y donnais suite, il s'était sans doute empressé de prendre les devants.
Il va sans dire que je repris aussitôt ma voiture et la route, tout honteux de cette mésaventure.
Le routier repartit à son tour et remit son camion sur la Nationale.
Raoul Jefe
Ces textes sont nés d'un premier jet et n'ont subi aucune retouche.
Parce qu'il lui a semblé que son expérience de vie pouvait avoir valeur de témoignage, et servir de révélateur à d'autres, il a assez vite déblayé le scrupule de paraître narcissique ou exhibitionniste.
LES BOTTES SECRETES
Fétichisme : remplacement de l'objet sexuel par un fétiche.
Fétiche : objet inanimé ou partie de corps non sexuelle capables de devenir à eux seuls objets de sexualité. (Petit Larousse)
Le fétichisme va remplacer la sexualité absente. Le cuir, son contact sur la peau, les jambes, les genoux, les cuisses s'est substitué aux grains de peau auxquels j'aurais dû veiller.
Le cuir, les bottes, les cuissardes... Comme dans mes premiers rêves-pollutions nocturnes où j'enfilais les bottes de septs lieues. Les bottes-cuissardes : d'Artagnan, Scaramouche, Fanfan le Tulipe, Michel Fugain, Francis Lalanne en sont porteurs : pourquoi pas moi ? Et Monsieur Loyal, au cirque, n'a-t-il pas les tarses calés dans des bottes carénées comme des paquebots de croisière ? N'avais-je pas fait du théâtre ? Et du cirque ? Où est le plaisir ? Où était le porte-à-faux ? Bien sûr, porter des bottes me rappellerait leur connotation sexuelle ; porter des bottes, cela équivalait à jouer : peu importe le théâtre, le cirque, la piste ou la scène : c'était jouer à se faire plaisir.
Encore une fois, je ne me posai aucune question. Comme d'autres s'offrent en cadeau une planche à voile ou un camescope, je fis confectionner chez un bottier toulousain une paire de bottes-cuissardes en cuir souple de veau. En les enfilant, à quoi pensais-je ? Qu'elles me procuraient l'agréable sensation d'une matière noble et sensuelle, placebo de la douce peau des femmes ? Ou qu'elles me promulguaient mousquetaire, pirate ou maître de manège ? Attributs dérisoires et morbides, substituts de seconde classe, j'aimais les porter, ces bottes-cuissardes dans lesquelles je glissais le pantalon.
Toutefois, je ne les portais jamais en présence de mon entourage ou de connaissances. Mais de temps à autre, je les faisais marcher et leur faisais prendre l'air et fouler des lieux où je savais qu'il serait surprenant de rencontrer père, mère, oncle ou cousin.
J'étais souvent passé, sans m'arrêter, devant une aire de repos, sur la Route Nationale : cet espace me paraissait tout indiqué pour marcher à mon aise et faire jouer mes jambes dans les grandes bottes.
Je garai ma voiture sur l'aire, près des latrines, où j'entrai, pour satisfaire une instance de la nature.
Les murs étaient recouverts d'inscriptions obscènes et d'offres de service peu ragoûtantes. Je sortis de l'édicule, écoeuré. Plus loin, un camion stationnait ; son chauffeur était au volant. J'entrepris de faire quelques pas. Ce que voyant, le routier descendit de son véhicule pour venir dans ma direction, à ma rencontre. Lorsqu'il arriva à ma hauteur, il me regarda furtivement et, devant mon étonnement, sembla gêné. Je tournai les talons pour remonter dans ma voiture et quitter les lieux.
Très intrigué par ce manège et par ce lieu, une curiosité me ramena sur le terrain. Le camion était toujours là ; son chauffeur était remonté dans la cabine. Je garai ma voiture et entrai de nouveau dans les lieux d'aisance. Et là, je pus enfin m'apercevoir de la confusion : là, sur le mur qui n'avait pas que des oreilles, le routier avait ripoliné ses ambitions : il invitait ceux qui le souhaitaient à venir le retrouver sur la banquette pour des "choses" qui se laissent aisément imaginer. Tout-à-l'heure persuadé que j'y donnais suite, il s'était sans doute empressé de prendre les devants.
Il va sans dire que je repris aussitôt ma voiture et la route, tout honteux de cette mésaventure.
Le routier repartit à son tour et remit son camion sur la Nationale.
Raoul Jefe