29 mai 2007
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Lettre à Nina Bourraoui ("Mes mauvaises pensées", Stock)
Bonjour,
J'ai lu, à petits bonds, dans vos pensées, que vous estimez mauvaises... presque 300 pages de lignes sans découpages en chapitres, une écriture nerveuse, musclée et parfumée...
Il se trouve que je suis un obsessionnel-compulsif de carrière, et je vais d'emblée vous le prouver : j'ai commencé la lecture de votre ouvrage avant qu'il ne soit distingué par le prix Renaudot. Je ne l'ai pas acheté, mais je suis revenu tous les soirs en lire dix ou vingt pages dans la même librairie.
Lorsque le prix a été attribué, une nouvelle impression a été faite, ceinte du bandeau tant convoité.
Votre jolie frimousse a été réduite de moitié, mais bon, on va dire que c'est pour la bonne cause.
J'ai ainsi pu faire un rapprochement entre les deux tirages. J'étais parvenu à la page 157. Trois lignes avant la fin de la page, le mot "aveu" est suivi de deux points. (Les deux points sont des points de suspension qui ont su s'élever et prendre de la hauteur...:)
Or, dans le retirage "post-récompense", les deux points ont disparu ! L'anecdote en dit long. Deux points, c'est tout !
Ceci posé, permettez-moi maintenant de vous dire tout le bien que je pense de votre livre que j'ai adoré.
Cette longue confession dans le secret d'un cabinet de spécialiste des maladies d'au dessus du cou, a les qualités du genre, sans tomber dans le pathos ou la mièvrerie, souvent relevée dans le domaine.
Ces aveux de l'intranquillité m'ont touché. Vous avez choisi la littérature et vous avez bien fait.
"La littérature prouve que la vie ne suffit pas." écrit Pessoa.
Vos lieux et vos gens donnent à votre jeune vie matière à propos. Et vous savez les modeler avec talent.
Je lis peu, mais je lis fort. Les TOC m'invalident à ce point qu'ils me freinent au cours de la lecture.
Or, j'ai bu votre livre jusqu'à la dernière goutte.
Finalement, je m'en tire bien, puisque, contrairement à ce que disait Emmanuel Berl -"J'ai beaucoup lu, mais je ne me souviens de rien"-, ce que je lis reste bien gravé dans mon "disque dur".
Ainsi, votre parentèle, qui est si heureuse de vous voir réussir dans les lettres ;
Ainsi l'amie, la chanteuse ;
Ainsi Hervé Guibert qui "danse sur les bouches"
Ainsi surtout l'Algérie, blanche, lumineuse ; et la France, Rennes, Paris, ses rues X ou Y...
m'ont accompagné avec un ton, un univers que j'ai effleuré...
N'est-ce pas là le vrai pouvoir d'un livre : donner à voir et à penser, surprendre et étonner, émouvoir et rassembler ?
Ainsi vos "mauvaises pensées", vos phobies d'impulsion, vos TOC (le mot vient d'entrer dans le Petit Larousse en 2006 !) me parlent en frère d'âme et j'y suis très sensible.
Je conseille la lecture de votre livre aux membres de l'AFTOC (Association Française de personnes souffrant de Troubles Obsessionnels Compulsifs.) qui y trouveront, outre un écho à leur souffrance, une très agréable source de lecture...
Voici. Cette lettre de pose pas de question ; pourtant, je serais content si vous m'adressiez quelques mots de vous : si je suis obessionnel-compulsif, je suis aussi fétichiste du papier et des phrases réussies.
Bien cordialement à vous.
Joël Fauré
"Mes mauvaises pensées" est publié en poche, chez Folio.
Dernier ouvrage paru de Nina Bourraoui : "Avant les hommes" chez Stock
Extrait de la critique de Marie-Laure Delorme, dans "Le Journal du Dimanche" du 20 mai 2007 :
" Elle [Nina Bourraoui] est double. A la fois précieuse et sauvage. Mais en pleine nuit, face aux lumières dansantes de son ordinateur, elle retrouve son état d'antan. Elle descend en apnée. Ecrit et écrit : regagne son enfance."
J'ai lu, à petits bonds, dans vos pensées, que vous estimez mauvaises... presque 300 pages de lignes sans découpages en chapitres, une écriture nerveuse, musclée et parfumée...
Il se trouve que je suis un obsessionnel-compulsif de carrière, et je vais d'emblée vous le prouver : j'ai commencé la lecture de votre ouvrage avant qu'il ne soit distingué par le prix Renaudot. Je ne l'ai pas acheté, mais je suis revenu tous les soirs en lire dix ou vingt pages dans la même librairie.
Lorsque le prix a été attribué, une nouvelle impression a été faite, ceinte du bandeau tant convoité.
Votre jolie frimousse a été réduite de moitié, mais bon, on va dire que c'est pour la bonne cause.
J'ai ainsi pu faire un rapprochement entre les deux tirages. J'étais parvenu à la page 157. Trois lignes avant la fin de la page, le mot "aveu" est suivi de deux points. (Les deux points sont des points de suspension qui ont su s'élever et prendre de la hauteur...:)
Or, dans le retirage "post-récompense", les deux points ont disparu ! L'anecdote en dit long. Deux points, c'est tout !
Ceci posé, permettez-moi maintenant de vous dire tout le bien que je pense de votre livre que j'ai adoré.
Cette longue confession dans le secret d'un cabinet de spécialiste des maladies d'au dessus du cou, a les qualités du genre, sans tomber dans le pathos ou la mièvrerie, souvent relevée dans le domaine.
Ces aveux de l'intranquillité m'ont touché. Vous avez choisi la littérature et vous avez bien fait.
"La littérature prouve que la vie ne suffit pas." écrit Pessoa.
Vos lieux et vos gens donnent à votre jeune vie matière à propos. Et vous savez les modeler avec talent.
Je lis peu, mais je lis fort. Les TOC m'invalident à ce point qu'ils me freinent au cours de la lecture.
Or, j'ai bu votre livre jusqu'à la dernière goutte.
Finalement, je m'en tire bien, puisque, contrairement à ce que disait Emmanuel Berl -"J'ai beaucoup lu, mais je ne me souviens de rien"-, ce que je lis reste bien gravé dans mon "disque dur".
Ainsi, votre parentèle, qui est si heureuse de vous voir réussir dans les lettres ;
Ainsi l'amie, la chanteuse ;
Ainsi Hervé Guibert qui "danse sur les bouches"
Ainsi surtout l'Algérie, blanche, lumineuse ; et la France, Rennes, Paris, ses rues X ou Y...
m'ont accompagné avec un ton, un univers que j'ai effleuré...
N'est-ce pas là le vrai pouvoir d'un livre : donner à voir et à penser, surprendre et étonner, émouvoir et rassembler ?
Ainsi vos "mauvaises pensées", vos phobies d'impulsion, vos TOC (le mot vient d'entrer dans le Petit Larousse en 2006 !) me parlent en frère d'âme et j'y suis très sensible.
Je conseille la lecture de votre livre aux membres de l'AFTOC (Association Française de personnes souffrant de Troubles Obsessionnels Compulsifs.) qui y trouveront, outre un écho à leur souffrance, une très agréable source de lecture...
Voici. Cette lettre de pose pas de question ; pourtant, je serais content si vous m'adressiez quelques mots de vous : si je suis obessionnel-compulsif, je suis aussi fétichiste du papier et des phrases réussies.
Bien cordialement à vous.
Joël Fauré
"Mes mauvaises pensées" est publié en poche, chez Folio.
Dernier ouvrage paru de Nina Bourraoui : "Avant les hommes" chez Stock
Extrait de la critique de Marie-Laure Delorme, dans "Le Journal du Dimanche" du 20 mai 2007 :
" Elle [Nina Bourraoui] est double. A la fois précieuse et sauvage. Mais en pleine nuit, face aux lumières dansantes de son ordinateur, elle retrouve son état d'antan. Elle descend en apnée. Ecrit et écrit : regagne son enfance."