12 juin 2007 2 12 /06 /juin /2007 16:26
C'est toujours Casy Rivière qui parle :

C'est ma tournée...

Je voyais qu'il était peiné, obsédé par ma solitude, par la solitude du prêtre. Il voulait faire quelque chose pour m'enlever un peu de poids de cette solitude. Un jour, il me téléphona pour me dire qu'il voulait me prendre dans une de ses tournées, pour me distraire un peu, entre deux dimanches. Effectivement, il arriva un soir avec son équipe. Il partait vers la Méditerranée. Je l'ai suivi. J'allai avec eux. J'ai pris quelques jours de vacances. Et là, j'ai partagé sa vie et la vie de ses copains pendant 4 ou 5 jours. J'ai vu, j'ai regardé. J'ai vu, j'ai entendu. Il était avec ses copains d'une bonté aussi... d'une simplicité extraordinaire, s'inquiétant de tout, de leur vie matérielle, de tout, de tout... Pour moi aussi, me comblant de toutes les prévenances, voulant que je sois content, que je sois heureux. Et... je me souviens, c'était à Béziers ou à Narbonne, je ne sais plus, pendant l'entr'acte, les journalistes avaient l'habitude de venir le voir pour l'interviewer, et j'écoutais, là... Il m'avait gardé dans sa loge avec lui. Un journaliste lui demande à moment donné : "Et la foi, monsieur Brel, c'est vrai que vous avez la foi ?" Alors, se tournant vers moi, il dit en me montrant avec la main : "Oh, ça, je n'en sais rien. Tenez, j'ai justement ce soir avec moi mon aumônier particulier ; demandez-le lui, il vous en dira plus que moi." Et justement, j'ai vu là qu'il me liait vraiment à la Foi. C'était le prêtre qui l'intéressait en moi ; c'était le prêtre un peu attentif, un peu auditif, un peu compréhensif.
Il faisait tout pour m'enlever à la solitude. C'est pour ça qu'il était content de m'emmener avec lui dans ses tournées. De ses tournées, j'en garde un souvenir lumineux.

L'emmerdeur.
Une autre fois, le téléphone sonna dans la soirée chez moi. Il me donna rendez-vous le lendemain à Montpellier où il tournait "l'Emmerdeur". Il me dit : "Tu n'as qu'à prendre tel train, et je serai à la gare." En effet, il était à la gare, et j'ai assisté à une partie de l'enregistrement de "l'Emmerdeur." Je l'ai vu justement avec ses copains, ses confrères. J'ai mangé avec eux. Il y avait là Molinaro, Mme Molinaro, Lino Ventura que j'ai trouvé très sympathique, qui a été vraiment très gentil avec moi aussi et qui était -il en avait parlé à Brel qui me l'a dit- étonné que Brel ait une telle familiarité avec un prêtre. Voilà.

"Même qu'il donnerait sa chemise à des paures gens heureux..."
Un soir, je m'étais aperçu, au moment d'aller se coucher, qu'il avait sa voiture remplie d'objets hétéroclites. Et au fond, il y avait un gros paquet de chemises, de chemises qui avaient été portées. Et comme je lui demandai pourquoi il avait tant de chemises, il me dit qu'il changeait de chemise pour chanter bien sûr tous les soirs, et qu'il en achetait beaucoup parce qu'il n'avait pas le temps matériel de les faire laver, de les faire préparer. "Et ces chemises, qu'est-ce que tu en fais ?" "Boh, me dit-il, tu sais, on les jette à mesure du chemin, à moment donné de la rout
e." Je lui répondis que c'était un peu dommage, qu'il y avait beaucoup de gens qui auraient été heureux de porter des chemises, surtout des chemises qui avaient été portées par Brel. Il me laissa le paquet, je fis faire une lessive, et j'ai distribué des chemises de Brel à beaucoup de jeunes de chez moi, qui sont encore heureux de les porter.

Mourir, la belle affaire !
Il était obsédé par la mort, mais enfin, pas... ça ne le rendait pas malade, je veux dire. Il était obsédé intellectuellement par la mort. Des îles où il vivait là-bas, il m'envoyait quelques mots, quelques lettres que j'ai encore bien sûr. Et il me disait de penser à l'heure de sa mort. Et la dernière que j'ai reçue, ça me touche maintenant beaucoup d'y repenser, de la relire, de la revoir beaucoup, il me disait : "Je pense rentrer en France bientôt pour des examens médicaux. Si je viens à Paris, bien sûr, je fais un saut jusque chez toi." (1)

Sans le comprendre, Jacques Brel a eu trois filles : Chantal, France et Isabelle.
Mon père, lui au moins, a eu trois fils, Bernard, Jean-Pierre et Joël, sans le comprendre non plus.


(1) J'ai tenu à conserver le langage parlé des propos de l'abbé Casy Rivière.

(A suivre.)

Joël Fauré

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Brèves :

Qui a vécu de 1931 à 1976 au 7, rue des Faussets à Bordeaux ?

Je savais que tôt ou tard, mes pas me méneraient dans le vieux Bordeaux, au 7, rue des Faussets. Ce fut chose faite hier. Je savais que la forte odeur faite de soufre, d'encens, cette forte odeur âcre et enivrante d'interdit et de stupre affleurerait à mes narines pelliculées. Le fétichiste revendiqué que je suis ne pouvait pas faire autrement que d'aller toucher de près un mystère, dans "La Belle Endormie". Et ce mystère portait un nom : Pierre Molinier.
Pierre Molinier ?
"Pierre Molinier. Peintre né en 1900. La femme. La peinture. Le pistolet. D.C.D en 1976. ICI. La commune libre de Saint-Pierre en Vieux Bordeaux" dit la plaque apposée sur la maison.
J'ai fait celui qui ne connaissait pas Pierre Molinier. Edifiant.
Les deux petites serveuses de la brasserie proche, place Saint-Pierre (!) : "Pierre Molinier ? Connais pas. Z'avez qu'à regarder sur Internet."
Le patron du restaurant en face : "Vous êtes de la famille ?"
Le sympathique couple qui vit juste en vis-à-vis du "mythique" logis : "On n'a pas approfondi."

Et vous, vous voulez en savoir plus sur Pierre Molinier ? "Z'avez qu'à regarder sur Internet"


Raoul Jefe


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commentaires

J
Aurora : J'ai lu avec intérêt votre billet sur celui que vous placez dans le tiercé (quarté ?) de tête de vos "magnifiques".
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A
En cherchant bien "chez moi", vous trouverez trace de celui qui aimait tant "ses jambes"... Mais si je connais la rue des Faussets, je suis trop jeune pour avoir... bien connu Pierre Molinier!
Répondre

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