13 juin 2007 3 13 /06 /juin /2007 17:02
A la mémoire de Philippe Ramard, "Fiston".
Foudroyé par la Maladie du Légionnaire.
Lui qui ne l'a jamais été.


Rennes.
Je suis à Rennes. Je me remets sur les bancs de l'école pour passer mon CAP de gratte-papier. Il n'est jamais trop tard. L'école est gérée par l'Office National des Anciens Combattants. Moi qui n'ai jamais combattu. Ou si mal.
A l'école, on trouve des êtres endommagés par la vie, mais ennoblis de courage : du membre manquant à l'allergie aux cosmétiques. Toutes, tous avec un "prière d'insérer" dans le Journal de la Vie.
Mon voisin de banc est un petit Breton pas plus haut que trois pommes Normandes. Vif, anxieux, très abimé par l'existence (il a perdu sa mère de bonne heure, il a subi un crânopharingiome). Je l'appelle "Fiston. C'est un excellent joueur de scrabble ; il me bat à tous les coups. Il habite Plancoët, célèbre pour ses eaux, dans les Côtes du Nord, qui ont été rebaptisées Côtes d'Armor, après avoir failli s'appeler Côtes d'Amour. Un jour, il m'embarque dans sa petite Peugeot 104, direction la côte de granit rose... Saint-Malo, Audierne, Saint-Cast.
"Jojo, moi je t'entends rugir quelques chansons marines où des Bretons devinent que Saint-cast doit dormir tout au fond du brouillard..."

Saint-Cast
A Saint-Cast, je tiens absolument à me recueillir sur la tombe de Jojo. Il faut enfin que je vous présente Jojo. Lui aussi a très bien connu Jacques Brel. Jojo, Georges Pasquier à l'état-civil, c'était l'ami, le confident, le secrétaire, le chauffeur, le compagnon de presque toutes les intimités... Impossible aujourd'hui pour une jeune curieuse qui se documente sur Brel parce qu'il l'a émue jusqu'aux ovaires, de ne pas croiser Jojo.
Quand Jojo meurt d'un cancer, Brel est anéanti. Il n'a plus de terre sous les pieds. Il s'en est trop servi pour recouvrir son immense chagrin à grandes pelletées : "Six pieds sous terre, Jojo, tu n'es pas mort, six pieds sous terre, tu frères encore ; six pieds sous terre, je t'aime encore..."
Sur une petite route venteuse, avec Fiston, nous croisons une femme que ma mémoire me restitue déjà vieille :
" - S'il vous plaît, madame, où se trouve le cimetière ?"
La Bretonne, la Bretonne, la Bre la Bre la Bretonne ne semble pas s'étonner qu'on lui demande sa propre prochaine adresse. Elle tend son bras qui touche presque le mur de la nécropole :
" - C'est tout droit..." C'est tout juste si elle ne nous dit pas : "Suivez-moi..."
En entrant dans le champ de fleurs, Jojo est là qui se repose. "Le vrai tombeau des morts, c'est le coeur des autres." a dit Cocteau. Cocteau, que je n'ai pas très bien connu, a sans doute raison...

Cher Jacques,
Je técris depuis mon dernier automne Breton. Un automne comme je les aime : doux et pluvieux. L'air sent bon, les femmes sont jolies, et pourtant j'ai bien envie de me jeter dans la Vilaine... L'ouragan d'octobre n'est plus qu'un vilain souvenir. Il faut pourtant te dire que je n'ai pu m'empêcher de retourner sur les chemins de pluie dans la forêt de Brocéliande : des géants déracinés gisent ça et là comme des pantins grotesques. Ca en est triste à mourir... Les Korrigans en ont pleuré. Quelle idée a eu la Terre, ici, de s'aventurer en pleine mer, exposée aux quatre vents et aux caprices de Dame Nature ? Malgré tout, je l'ai aimée, cette parcelle de terre trempée où il fait bon marcher, où il fait doux respirer, où les gens, parce que plus vulnérables, y sont plus chaleureux, et plus entiers aussi... Je l'ai aimée parce qu'elle m'a adopté comme un des siens et qu'elle m'a donné une de ses plus jolies filles... Je me suis promené sur sa géographie variée, j'ai croqué dans son soleil, j'ai bu à même sa ruisselante source d'amour, j'ai veillé au grain de peau velouté de ses reins balayés par les vents et les embruns... Et c'est ce même vent qui me l'a emportée comme fétu de paille...
Une pelote de laine dans la gorge, une plaque de marbre sur la poitrine : je crois qu'on appelle ça déjà de la nostalgie, ou si c'est pas de la nostalgie, c'est quelque chose qui y ressemble...
Demain, un peu poivrot, un peu poète, j'irai une dernière fois saluer mes amis à "La Taverne de la Touche", chez Yvette et André. Il y aura là le Brestois Jean-Louis qui, plongé dans les mots croisés d'Ouest-France, me demandera, faussement ingénu : "En quatre lettres, commençant par B : n'a pas voulu qu'on le quitte et il nous a bien quittés." ; il y aura là l'abominable Doum, monument de cynisme et d'ironie, et pourtant si tendre et chaleureux, qui me lancera haut et fort : "Où en est ta blenno ?" ; il y aura là l'immense Bernard, discret et tranquille, superbe de bonhomie et de bonté, qui jouera encore avec le feu ; il y aura Petit-Louis le Bordelais, avec ses théories et ses envolées lyriques. Il ne faudra pas beaucoup insister pour que Jean-Claude entonne "Fleur de blé noir" de Théodore Botrel ; il y aura l'imperturbable Loïc, le sympathique adjudant-chef en retraite et puis bien sûr Fiston...
Je leur dirai : "Mes amis, je pars... Je n'ai plus rien à faire ici... Je n'irai plus au bois, l'ouragan a coupé les lauriers et m'a coupé l'herbe sous le pied... Il m'a un peu secoué sans doute... Il a fait de mon coeur une avenue déserte entre canal et cimetière..." Je sais que Doum me dira : "Elle peut encore servir ton avenue gros malin ; les greluches, elles aiment bien lècher les vitrines..."
"Oui, mais des vitrines, y'en beaucoup de brisées, et c'est l'époque des soldes." que j'y répondrai. Et je replongerai dans la bière.
La bière, c'est comme le chagrin : ça mousse... La bière, c'est comme l'amitié, ça réchauffe...
Alors dans le chaud petit nid des amis, quand ils me verront mal à l'âme, oiseau blessé, ils feront comme font toutes les mamans de la Terre quand leurs enfants pleurent : ils me montreront les jouets que je préfère ; ils me chanteront les berceuses qu'il faut, ils me rediront les mots que j'aime : "Parle-nous encore de Brel..."
"Dites-moi mes amis si Saint-Cast dort toujours au fond du brouillard ?"
Et ce sera reparti pour la nuit...
Mais il n'empêche, demain, je prendrai le premier train, parce qu'ici, tout est vraiment fini. A Nantes, quand je traverserai la Loire et que je redeviendrai Méridional, je pourrai me dire : "Quand même, ils sont chouettes, ces Bretons !" Peut-être que cette lettre que je t'envoies sera déjà en poste restante ? Il fallait que je me confie à quelqu'un, tu comprends ?
Au revoir, Jacques. Kénavo.

(A suivre.)

Joël Fauré

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Brèves


Un air de famille.

"Qu'il fasse beau, qu'il fasse laid, c'est mon habitude d'aller vers les cinq heures du soir me promener au Palais Royal. C'est moi qu'on voit, toujours seul, rêvant sur le banc d'Argenson.
Je m'entretiens avec moi-même de politique, d'amour, de goût ou de philosophie. J'abandonne mon esprit à tout son libertinage. Je le laisse maître de suivre la première idée sage ou folle qui se présente, comme on voit dans l'allée de Foy nos jeunes dissolus marcher sur les pas d'une courtisane à l'air eventé, au visage riant, à l'oeil vif, au nez retroussé, quitter celle-ci pour une autre, les attaquant toutes et ne s'attachant à aucune. Mes pensées, ce sont mes catins."
Le Neveu de Rameau (Denis Diderot)

Je partage une chose avec Diderot. Nous sommes nés le même jour. Le 5 octobre. Lui en 1713 et moi en 1962.
Je n'ai pas très bien connu Denis Diderot.
Par contre, mon amitié avec celui qui le sert, le met en bouche, le comédien Roger Borlant, est indéfectible.
N'a-t-il pas été le créateur, au Théâtre de Poche, du rôle principal de ma pièce "Orbe" ? Et avec quel brio !
Toujours sur les planches du Théâtre de Poche, revoici Roger Borlant, homme-Protée, glissé avec une remarquable aisance dans les peaux de la famille Rameau, et de quelques satellites, au siècle des Lumières.
Comme l'écrit Patrick Calsou :
"Roger Borlant se saisit de ce texte riche de tous ses double-fonds, il taille, il coupe, il colle et nous le restitue, encore plus riche d'une dimension supplémentaire, celle du théâtre."

JF


"Le Neveu de Rameau"
de Denis Diderot.
Mise en scène de Michel Lataste.
Jusqu'au 16 juin.
Théatre de Poche
10, rue d'El Alamein
31500 TOULOUSE
Réservations : 05.61.48.25.52


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commentaires

J
Aurora : Je reconnais que j'ai tendance à "négliger" Ferré. Les vers cités, que je ne connaissais pas, sont magnifiques... et bien marqués de la patte de Ferré.<br /> Tiens, pour valider ce commentaire je dois saisir C N 9 C'est neuf ?
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A
A l'occasion de cette "brise" bretonne, je me permettrai de citer "Les étrangers" de Léo. Après tout, il manquait un peu, entre jacques et Georges...<br /> <br /> "...Quand la mer se ramène avec des étrangers<br /> En Bretagne y'a toujours la crêperie d'à côté<br /> Et un marin qui te file une bonne crêpe en ciment<br /> Tellement il y'a fourré des tonnes de sentiment..."
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