29 juillet 2007
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11:40
Ma mère découpait dans les journaux toutes les recettes, sauf celle du bonheur.
"Qu'est-ce que tu as mangé, à midi ?"
Nos conversations ne volaient pas très haut. C'est dommage. Elles auraient pu. Elles étaient ouvertes, ponctués, et essentiellement nourries par ce leitmotiv, quand je rentrai de la cantine ; puis, un peu plus tard, du restaurant d'entreprise ; et puis, un peu plus tard, quand je l'appelai de la clinique psychiatrique : "Qu'est-ce que tu as mangé, à midi ?"
"Combien tu as payé ?"
Oui, nos conversations étaient limitées. Elles étaient régentées par cette phrase monnaie-échange : "Combien tu as payé ?", et qui résonne encore en ma mémoire de la plus terrifiante des façons...
Ma mère avait le ticket...
avec tous les chauffeurs de car qui menaient à Toulouse. Il suffisait qu'elle l'achète. Lorsque nous allions à Toulouse, c'était une véritable expédition. Il fallait d'abord se résoudre à abandonner la Maison Grise, à cheval sur la tout aussi grise Mobylette, puis gagner la Grand'Route. La 88. La Nationale ! Nous laissions la grise sous le hangar de la ferme "Ravary". Et nous attendions, à la halte de Roquesérière. Nous attendions un peu Godot et beaucoup le car...
Un Livre de Poche aux "Nouvelles Galeries".
C'était dans les Grands Magasins Toulousains, aux "Nouvelles Galeries", je crois. Au dernier étage. A Toulouse, les "Nouvelles Galeries" sont nouvelles depuis déjà longtemps. J'étais avec ma mère. Mon regard fut littéralement happé par un "Livre de Poche", bien en vue sur un rayonnage. Je fus irradié. Cette jeune femme brune. Ce haut de cuissardes surtout, cette plage de peau jusqu'aux côtes du chemisier aux motifs fleuris me troublèrent à vie. J'achetai le livre, comme d'autres achètent des madeleines...
Ma mère décela-t-elle mon émoi ? Evalua-t-elle la valeur, la portée et de sens de cet achat ? Nous sommes remontés dans le car pour regagner l'accablante ruralité.
Si j'étais rédacteur en chef du magazine "A propos de Bottes"(tirage moyen : 170 000 exemplaires), voici quel serait l'éditorial du numéro à venir :
"Il fallait bien que ça arrive un jour. Il fallait bien que nous nous heurtions, lui et moi, à un problème de taille : le sexe voulait parler en même temps que le cerveau.
Et la pensée, prisonnière et métastasée, en était toute bouleversée.
Entre le nerf et le microbe, pour quelle atteinte fatale croyez-vous qu'elle opta ?
Gagné ! Pour le microbe. Moins de peine à supporter la douleur.
Et nous allâmes nous masturber.
Quinze secondes de plaisir et d'infidélité pour quarante-quatre ans de dévotion à la Vierge Marie. Piéta et Mater Dolorosa.
Alors, coulèrent des larmes rentrées, mais pas là où il le fallait. Des cristaux et des paillettes d'argent face à un mystère rouge.
Contaminés nous fûmes. La contagion n'a pas de frontière.
Et les belles images que nous montrait une -notre- mère jouèrent sur un double tableau : il ne fallait surtout pas toucher les bottes de la Sainte, et pourtant, il fallait l'honorer. Impossible à faire. Ca revient à ne pas cliquer sur les icônes des ordinateurs.
Le jeu social est un jeu érotique.
Nous sommes partis jouer...
Il fallait bien que ça arrive un jour.
"Tu n'as qu'à te branler."
Où sont les parfums de mon enfance ?
Où sont mes savoirs purs ?
Mes savoirs purs d'avant de savoir. Qu'il "y a des corps, et pis encore, des sexes. (1)
"Tu n'as qu'à te branler" m'a lancé un jour ma mère, sans méchanceté sans doute, un jour où je lui reprochai de m'avoir tenu à l'écart des choses du sexe, et où je me plaignais de ma difficulté à approcher les filles. "Aux bêtes, on leur apprend pas" a-t-elle rajouté.
(1) "L'avenir dure longtemps" (Louis Althusser) - Stock
(A suivre)
Joël Fauré
"Qu'est-ce que tu as mangé, à midi ?"
Nos conversations ne volaient pas très haut. C'est dommage. Elles auraient pu. Elles étaient ouvertes, ponctués, et essentiellement nourries par ce leitmotiv, quand je rentrai de la cantine ; puis, un peu plus tard, du restaurant d'entreprise ; et puis, un peu plus tard, quand je l'appelai de la clinique psychiatrique : "Qu'est-ce que tu as mangé, à midi ?"
"Combien tu as payé ?"
Oui, nos conversations étaient limitées. Elles étaient régentées par cette phrase monnaie-échange : "Combien tu as payé ?", et qui résonne encore en ma mémoire de la plus terrifiante des façons...
Ma mère avait le ticket...
avec tous les chauffeurs de car qui menaient à Toulouse. Il suffisait qu'elle l'achète. Lorsque nous allions à Toulouse, c'était une véritable expédition. Il fallait d'abord se résoudre à abandonner la Maison Grise, à cheval sur la tout aussi grise Mobylette, puis gagner la Grand'Route. La 88. La Nationale ! Nous laissions la grise sous le hangar de la ferme "Ravary". Et nous attendions, à la halte de Roquesérière. Nous attendions un peu Godot et beaucoup le car...
Un Livre de Poche aux "Nouvelles Galeries".
C'était dans les Grands Magasins Toulousains, aux "Nouvelles Galeries", je crois. Au dernier étage. A Toulouse, les "Nouvelles Galeries" sont nouvelles depuis déjà longtemps. J'étais avec ma mère. Mon regard fut littéralement happé par un "Livre de Poche", bien en vue sur un rayonnage. Je fus irradié. Cette jeune femme brune. Ce haut de cuissardes surtout, cette plage de peau jusqu'aux côtes du chemisier aux motifs fleuris me troublèrent à vie. J'achetai le livre, comme d'autres achètent des madeleines...
Ma mère décela-t-elle mon émoi ? Evalua-t-elle la valeur, la portée et de sens de cet achat ? Nous sommes remontés dans le car pour regagner l'accablante ruralité.
Si j'étais rédacteur en chef du magazine "A propos de Bottes"(tirage moyen : 170 000 exemplaires), voici quel serait l'éditorial du numéro à venir :
"Il fallait bien que ça arrive un jour. Il fallait bien que nous nous heurtions, lui et moi, à un problème de taille : le sexe voulait parler en même temps que le cerveau.
Et la pensée, prisonnière et métastasée, en était toute bouleversée.
Entre le nerf et le microbe, pour quelle atteinte fatale croyez-vous qu'elle opta ?
Gagné ! Pour le microbe. Moins de peine à supporter la douleur.
Et nous allâmes nous masturber.
Quinze secondes de plaisir et d'infidélité pour quarante-quatre ans de dévotion à la Vierge Marie. Piéta et Mater Dolorosa.
Alors, coulèrent des larmes rentrées, mais pas là où il le fallait. Des cristaux et des paillettes d'argent face à un mystère rouge.
Contaminés nous fûmes. La contagion n'a pas de frontière.
Et les belles images que nous montrait une -notre- mère jouèrent sur un double tableau : il ne fallait surtout pas toucher les bottes de la Sainte, et pourtant, il fallait l'honorer. Impossible à faire. Ca revient à ne pas cliquer sur les icônes des ordinateurs.
Le jeu social est un jeu érotique.
Nous sommes partis jouer...
Il fallait bien que ça arrive un jour.
"Tu n'as qu'à te branler."
Où sont les parfums de mon enfance ?
Où sont mes savoirs purs ?
Mes savoirs purs d'avant de savoir. Qu'il "y a des corps, et pis encore, des sexes. (1)
"Tu n'as qu'à te branler" m'a lancé un jour ma mère, sans méchanceté sans doute, un jour où je lui reprochai de m'avoir tenu à l'écart des choses du sexe, et où je me plaignais de ma difficulté à approcher les filles. "Aux bêtes, on leur apprend pas" a-t-elle rajouté.
(1) "L'avenir dure longtemps" (Louis Althusser) - Stock
(A suivre)
Joël Fauré