31 juillet 2007
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Quand Simone lavait son linge sale "en voisines".
Simone et ma mère ont acheté leurs premières machines à laver en 1969. Ou 1970. Au nom de l'incalculable nombre de lessives qui, depuis, se sont succédé, leur mémoire est imprécise. En revanche, elles n'ont pas oublié le temps où le seul tambour qui roulait, c'était celui du garde-champêtre. Le temps où les machines à laver avaient un toit et quatre murs.
Avec Félicie, Noëlie et Philomène, on lavait son linge sale "en voisines", au hameau des "Luquets", tout près de la placette qui ondule un peu, courbe l'échine et s'incline devant la Croix des Rogations. Le lavoir municipal était là, jouxtant le ruisseau, l'école, le dépôt d'ordures et l'édicule que n'aurait pas renié Vespassien.
Ici se sont dénoués sans mélange des torchons et des serviettes. Ici l'on a tordu et battu bien des draps qui n'avaient pas été sages. Puis on les a suspendus touts près, dans les prés, tels des rideaux de théâtre, parfumant l'air frémissant, rectangles blancs qui invitaient encore à ne pas les respecter...
Ici se sont évanouies la crasse, la sueur et la confiture qui n'avaient pas encore appris à se médiatiser. Seul, l'épicier itinérant "Fossat", dans son fourgon jaune citron pressé, et sur ses étagères encombrées, vantait les mérites d'un paquet de lessive-miracle d'où Philomène extrayait, entre le pouce et l'index, ces merveilleux cadeaux qui vous garantissaient la poudre aux yeux.
Et toujours au lavoir, en ce Parlement tombé en quenouille, les lavandières, bien loin de leur Portugal, commentaient les événements du hameau et des hameaux alentour : le sacrifice des canards et du cochon, la naissance de jumeaux, les moissons passées, les vendanges prochaines, l'heure de la messe des Rameaux, l'acquisition du "Massey Ferguson" et... un raton-laveur !
Que sont leurs dires devenus ? Se sont envolés dans les bulles de savon ? Peut-on les retrouver dans les vignettes colorées des illustrés "Fripounet" ?
Le dimanche, quand les habits étaieint propres, on les mettait. Le dimanche, des gens de la ville venaient. Guy et Suzon. Jeanne et Raymond. Louis et Marie-Jeanne. En cols blancs et souliers pointus. Ils restaient manger. Au dessert, les hommes allumaient leurs pipes et racontaient des histoires : "Quand Schubert a voulu faire "l'Avé Maria", Shakespeare a fait "Othello".
C'était à peine augurer sur les temps modernes : la vieille pompe à chapelet, privée de mains fidèles, a été priée de ne plus pomper ni l'eau ni l'air de personne.
Le seul argent qu'il allait falloir blanchir, c'était celui, moussant et sponsorisé par Pinay, destiné à l'achat d'un lave-linge.
Et c'est alors que les maisons -y compris les plus grises- se sont pourvues de cubes sages, alignés comme à confesse, d'où il semblait qu'on pouvait voir la mer et ses eaux mouvantes, à travers leurs navire quittant le mouillage.
Pour véhiculer le message, il aura fallu qu'une brave paysanne, solide carrure, passe dans un autre cube, la télévision, pour accréditer d'un répercutant "C'est ben vrai, ça." une attraction-vedette qui allait forcément mériter toute votre confiance !
Aujourd'hui, le lavoir municipal a subi une descente d'organe -le bassin- et a été transformé en salle de réunions ; le ruisseau est souvent à sec ; l'école, en France, en général, aussi ; les ordures sont enlevées selon la frugalité des repas et des achats, et on est prié d'aller pisser ailleurs.
Il conviendrait de laver son linge sale en famille.
Mais comment faire quand elle est éclatée ? Mes cols sont souvent douteux, les pulls de laine s'imprègnent du fumet du coq au vin de chez "Flunch", les pantalons invitent à repasser un de ces jours...
Et j'ai dû débrancher la machine à laver.
(A suivre...)
Joël Fauré
Simone et ma mère ont acheté leurs premières machines à laver en 1969. Ou 1970. Au nom de l'incalculable nombre de lessives qui, depuis, se sont succédé, leur mémoire est imprécise. En revanche, elles n'ont pas oublié le temps où le seul tambour qui roulait, c'était celui du garde-champêtre. Le temps où les machines à laver avaient un toit et quatre murs.
Avec Félicie, Noëlie et Philomène, on lavait son linge sale "en voisines", au hameau des "Luquets", tout près de la placette qui ondule un peu, courbe l'échine et s'incline devant la Croix des Rogations. Le lavoir municipal était là, jouxtant le ruisseau, l'école, le dépôt d'ordures et l'édicule que n'aurait pas renié Vespassien.
Ici se sont dénoués sans mélange des torchons et des serviettes. Ici l'on a tordu et battu bien des draps qui n'avaient pas été sages. Puis on les a suspendus touts près, dans les prés, tels des rideaux de théâtre, parfumant l'air frémissant, rectangles blancs qui invitaient encore à ne pas les respecter...
Ici se sont évanouies la crasse, la sueur et la confiture qui n'avaient pas encore appris à se médiatiser. Seul, l'épicier itinérant "Fossat", dans son fourgon jaune citron pressé, et sur ses étagères encombrées, vantait les mérites d'un paquet de lessive-miracle d'où Philomène extrayait, entre le pouce et l'index, ces merveilleux cadeaux qui vous garantissaient la poudre aux yeux.
Et toujours au lavoir, en ce Parlement tombé en quenouille, les lavandières, bien loin de leur Portugal, commentaient les événements du hameau et des hameaux alentour : le sacrifice des canards et du cochon, la naissance de jumeaux, les moissons passées, les vendanges prochaines, l'heure de la messe des Rameaux, l'acquisition du "Massey Ferguson" et... un raton-laveur !
Que sont leurs dires devenus ? Se sont envolés dans les bulles de savon ? Peut-on les retrouver dans les vignettes colorées des illustrés "Fripounet" ?
Le dimanche, quand les habits étaieint propres, on les mettait. Le dimanche, des gens de la ville venaient. Guy et Suzon. Jeanne et Raymond. Louis et Marie-Jeanne. En cols blancs et souliers pointus. Ils restaient manger. Au dessert, les hommes allumaient leurs pipes et racontaient des histoires : "Quand Schubert a voulu faire "l'Avé Maria", Shakespeare a fait "Othello".
C'était à peine augurer sur les temps modernes : la vieille pompe à chapelet, privée de mains fidèles, a été priée de ne plus pomper ni l'eau ni l'air de personne.
Le seul argent qu'il allait falloir blanchir, c'était celui, moussant et sponsorisé par Pinay, destiné à l'achat d'un lave-linge.
Et c'est alors que les maisons -y compris les plus grises- se sont pourvues de cubes sages, alignés comme à confesse, d'où il semblait qu'on pouvait voir la mer et ses eaux mouvantes, à travers leurs navire quittant le mouillage.
Pour véhiculer le message, il aura fallu qu'une brave paysanne, solide carrure, passe dans un autre cube, la télévision, pour accréditer d'un répercutant "C'est ben vrai, ça." une attraction-vedette qui allait forcément mériter toute votre confiance !
Aujourd'hui, le lavoir municipal a subi une descente d'organe -le bassin- et a été transformé en salle de réunions ; le ruisseau est souvent à sec ; l'école, en France, en général, aussi ; les ordures sont enlevées selon la frugalité des repas et des achats, et on est prié d'aller pisser ailleurs.
Il conviendrait de laver son linge sale en famille.
Mais comment faire quand elle est éclatée ? Mes cols sont souvent douteux, les pulls de laine s'imprègnent du fumet du coq au vin de chez "Flunch", les pantalons invitent à repasser un de ces jours...
Et j'ai dû débrancher la machine à laver.
(A suivre...)
Joël Fauré