3 août 2007
5
03
/08
/août
/2007
11:52
Mange, ça va être froid.
Chez moi, ce n'était pas chez moi, c'était chez eux... Ma mère et mon père. Chez eux, il y a toujours eu du vin à la cave et du lard au grenier... Le grain, de blé et de raisin, permettait de lire des avenirs à mettre en silos et en barriques... Le jardin promettait des patates et des oignons, de l'ail et du persil. Le cochon tout. Les poulets faillirent un temps être amnistiés, ma mère refusant obstinément de les exécuter. Mais devant le prosélytisme de Georgette, sa belle-soeur, elle se fit tueuse en série des affidés et des inféodés de la Basse-Cour. Secondée par Georgette convoquée, ma mère égorgeait, récoltait les sangs, taillait dans le gras, coupait les cous, cassait les os... Les graisses étaient fondantes et les cuissons prometteuses.
Mais ce sont les canards surtout qui ont connu un grand génocide. Les musquets et les mulards.
Avant l'arrivée des condamnés, ma mère s'affairait aux préparatifs orchestrés comme une messe, le Saint-Office d'une anti-Mi-Carême. Dans un plat, elle faisait un lit de mie de pain, d'ail, de persil et de lardons. Il était destiné à recueillir le sang des palmipèdes, qui venait noyer la mixture. Une fois le sang figé, on donnait à la préparation ainsi obtenue le nom de sanquette. Et tout se terminait dans une poële à frire, puis son un filet de vinaigre.
Sous un trépied, dehors, près du poulailler, un feu était allumé. Dans une grande lessiveuse, de l'eau était mise à bouillir.
Les canards, il faut les ébouillanter avant de les plumer, sinon les "targnots" ne viennent pas. Les "targnots", ce sont les racines des plumes, enfoncées dans la chair, comme des pieux dans une prairie. Quand on presse un peu dessus, il y a du sébum qui gicle. Je le savais mais je l'avais oublié. Je m'en suis ressouvenu en me rasant : c'est plus difficile avec de l'eau froide.
J'adore sucer...
les os du lapin, du canard, du cochon... fendre la tête et manger la cervelle. Et manger des produits improbables : la queue du cochon, les ris du veau, les sot-l'y-laisse, les mous...
A creuser sa propre tombe, autant la creuser avec une fourchette.
Ma mère m'a-t-elle nourri plus qu'élevé ? J'ai la reconnaissance du ventre. J'ai entassé le jaune des oeufs, le vert des salades, le blanc des poulets, le noir du chocolat liés par un gros rouge qui tache... qui tâche d'annuler la tête...
Puisque ma mère m'y invitait, m'y incitait, j'ai bouffé, boulotté, bâfré...
puisque je ne savais pas que je ne pouvais pas baiser.
"La nourriture de votre mère, c'est une monnaie d'échange."
C'est ma neuro-psychiatre, le docteur Marie-France Moles-Durand, 26, rue du Languedoc, Toulouse (Hospitalisations : Clinique de Castelviel, Chemin des Affreux, 31180 Castelmaurou) Maladies du système nerveux - Psychotérapies, conventionnée, Secteur I. Téléphone : 05.61.52.92.75. (Appelez-la de ma part) qui me l'a dit.
Le syndrome de Stockholm.
Il est des bourreaux qui fournissent les vivres. Il est de gentils assassins à qui on ne peut vraiment pas en vouloir. En voulant me faire beaucoup de bien, ma mère, la femme de ma vie, m'a fait beaucoup de mal. Elle a dicté toutes mes décisions, fait infléchir toutes mes intentions, m'a mis en porte-à-faux avec les Institutions...J'ai été retenu en captivité. J'ai été en otage, et personne -ou presque personne- ne l'a su. Elle m'a couvé, surprotégé, gâté, pourri : c'est ce que veulent entendre d'aucuns ? Voilà, c'est dit. A bon entendeur, salut.
Aidez-moi à répondre à une question : "A-t-on le droit d'en vouloir à ses parents ?"
Ephémérides.
Morceaux choisis.
Dimanche 18 décembre 1980 : Repas du dindon avec toute la famille.
Saucisson-beurre. - Coeurs de palmiers oeufs durs tomates. - Pâté foie canard. Coquilles Saint-Jacques. - Ris de veau sauce. - Champignons lactaires. - Dinde aux marrons. - Fromage. Salade endives. Bûche glacée. Bûche au chocolat. Fruits oranges bananes pommes.
(A suivre.)
Joël Fauré
Chez moi, ce n'était pas chez moi, c'était chez eux... Ma mère et mon père. Chez eux, il y a toujours eu du vin à la cave et du lard au grenier... Le grain, de blé et de raisin, permettait de lire des avenirs à mettre en silos et en barriques... Le jardin promettait des patates et des oignons, de l'ail et du persil. Le cochon tout. Les poulets faillirent un temps être amnistiés, ma mère refusant obstinément de les exécuter. Mais devant le prosélytisme de Georgette, sa belle-soeur, elle se fit tueuse en série des affidés et des inféodés de la Basse-Cour. Secondée par Georgette convoquée, ma mère égorgeait, récoltait les sangs, taillait dans le gras, coupait les cous, cassait les os... Les graisses étaient fondantes et les cuissons prometteuses.
Mais ce sont les canards surtout qui ont connu un grand génocide. Les musquets et les mulards.
Avant l'arrivée des condamnés, ma mère s'affairait aux préparatifs orchestrés comme une messe, le Saint-Office d'une anti-Mi-Carême. Dans un plat, elle faisait un lit de mie de pain, d'ail, de persil et de lardons. Il était destiné à recueillir le sang des palmipèdes, qui venait noyer la mixture. Une fois le sang figé, on donnait à la préparation ainsi obtenue le nom de sanquette. Et tout se terminait dans une poële à frire, puis son un filet de vinaigre.
Sous un trépied, dehors, près du poulailler, un feu était allumé. Dans une grande lessiveuse, de l'eau était mise à bouillir.
Les canards, il faut les ébouillanter avant de les plumer, sinon les "targnots" ne viennent pas. Les "targnots", ce sont les racines des plumes, enfoncées dans la chair, comme des pieux dans une prairie. Quand on presse un peu dessus, il y a du sébum qui gicle. Je le savais mais je l'avais oublié. Je m'en suis ressouvenu en me rasant : c'est plus difficile avec de l'eau froide.
J'adore sucer...
les os du lapin, du canard, du cochon... fendre la tête et manger la cervelle. Et manger des produits improbables : la queue du cochon, les ris du veau, les sot-l'y-laisse, les mous...
A creuser sa propre tombe, autant la creuser avec une fourchette.
Ma mère m'a-t-elle nourri plus qu'élevé ? J'ai la reconnaissance du ventre. J'ai entassé le jaune des oeufs, le vert des salades, le blanc des poulets, le noir du chocolat liés par un gros rouge qui tache... qui tâche d'annuler la tête...
Puisque ma mère m'y invitait, m'y incitait, j'ai bouffé, boulotté, bâfré...
puisque je ne savais pas que je ne pouvais pas baiser.
"La nourriture de votre mère, c'est une monnaie d'échange."
C'est ma neuro-psychiatre, le docteur Marie-France Moles-Durand, 26, rue du Languedoc, Toulouse (Hospitalisations : Clinique de Castelviel, Chemin des Affreux, 31180 Castelmaurou) Maladies du système nerveux - Psychotérapies, conventionnée, Secteur I. Téléphone : 05.61.52.92.75. (Appelez-la de ma part) qui me l'a dit.
Le syndrome de Stockholm.
Il est des bourreaux qui fournissent les vivres. Il est de gentils assassins à qui on ne peut vraiment pas en vouloir. En voulant me faire beaucoup de bien, ma mère, la femme de ma vie, m'a fait beaucoup de mal. Elle a dicté toutes mes décisions, fait infléchir toutes mes intentions, m'a mis en porte-à-faux avec les Institutions...J'ai été retenu en captivité. J'ai été en otage, et personne -ou presque personne- ne l'a su. Elle m'a couvé, surprotégé, gâté, pourri : c'est ce que veulent entendre d'aucuns ? Voilà, c'est dit. A bon entendeur, salut.
Aidez-moi à répondre à une question : "A-t-on le droit d'en vouloir à ses parents ?"
Ephémérides.
Morceaux choisis.
Dimanche 18 décembre 1980 : Repas du dindon avec toute la famille.
Saucisson-beurre. - Coeurs de palmiers oeufs durs tomates. - Pâté foie canard. Coquilles Saint-Jacques. - Ris de veau sauce. - Champignons lactaires. - Dinde aux marrons. - Fromage. Salade endives. Bûche glacée. Bûche au chocolat. Fruits oranges bananes pommes.
(A suivre.)
Joël Fauré