9 août 2007
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18:12
A toutes les "A" de la Terre.
Ephémérides.
Vendredi 18 avril 1980 : Installation du téléphone.
Téléphone !
Je crois que le temps est venu que je donne moins d'importance au téléphone. J'attends d'une minute à l'autre de mauvaises nouvelles de la femme de ma vie. Dès maintenant, je vais le poser sur "Le Petit Robert" ou "Le Grand Albert", lui donner une assise moins moelleuse, une situation moins léonine. Je ne réponds presque plus en direct ; je laisse la technologie moderne enregistrer les éventuels messages de mes correspondants. Et c'est moi qui rappelle.
Savez-vous que c'est le Muretain Clément Ader qui a installé le premier téléphone à l'Elysée ?
Chez nous, à la campagne, il a fallu attendre 1980 pour qu'on nous l'installât. Jusqu'alors, nous n'avions de voix au chapitre que de façon très limitée, et, le plus souvent, nous fermions notre gueule devant ceux qui parlaient plus fort.
Le téléphone avait quatre murs et un toit ; c'était une cabine de béton, avec une porte-vitrée, posée en haut de la place du hameau des "Luquets", juste ne vis-à-vis du lavoir. Pour y accéder, il fallait demander la clef à "Barbe" ou à "Fabre".
Quand je pense "téléphone", je vois la couleur noire, puis grise. C'est associé à l'appareil. Je vois quelque chose de gros et de gris, posé dans un lieu investi d'un vertigineux pouvoir. Téléphoner, c'était une action pas anodine du tout, mais justifiée. C'était pour annoncer ou entendre une grosse nouvelle, mauvaise de préférence.
J'ai mis du temps à réaliser que les "Postes et Télécommunications" historiques n'ont plus le monopole. Que la Terre n'est plus à Dieu ?
Le téléphone est un objet magique certes. Je l'ai connu à cadran. Il fallait glisser un index dans un trou, jouer à la loterie dans un bruit de crécelle. Ca prenait du temps, même s'il n'y avait que six numéros. L'écouteur, dans son logement, était un espion autorisé par le Gouvernement, breveté par les Postes. Puis sont venues les premières touches. Une simple pression sur un clavier, sur des touches disposées en rectangle, renouvelée un nombre croissant de fois conduisait ailleurs.
Les mots passent-ils dans des tubes, des fils ou des tuyaux ?
La cabine du hameau des "Luquets" a été détruite. Il y a un abri-bus à la place. C'est moindre mal.
Hier, le téléphone avait quatre murs et un toit ; il était assujetti par un corset de contraintes ; aujourd'hui, il est au fond de la poche, et il se déplace quand vous vous déplacez.
L'appareil agressif qui faisait sursauter ma mère chaque fois qu'il sonnait me fait sursauter à mon tour. Je suis vexé comme un pou quand je n'ai pas d'appel ("Personne ne pense à moi, je suis atteint d'abandonnite aiguë.") ; je suis excédé quand j'en ai trop. (On ne peut pas me lâcher ? M'oublier ?)
Je passe des heures entières à attendre un appel qui ne vient pas. Déçu, je sors de chez moi. La première personne que je croise, parce que quelqu'un l'appelle, dégaine son portable qui fait aussi des photos regardables immédiatement.
A Bessières, quand ma mère apportait des pellicules chez "Turroques", il fallait attendre une bonne semaine avant le développement.
Le système "M".
Avec "le système M" comme Maman, il ne faut pas user, il ne faut pas gêner ; il faut voter à droite parce qu'on va à l'église le jour de Pâques et de Noël ; il faut aller se confesser, même si on n'a rien à se reprocher ; il ne faut pas manger de viande le mercredi des Cendres et le vendredi Saint ; il ne faut pas resservir un deuxième apéritif à monsieur Jurétig ; ce n'est pas la peine de prendre une douche tous les jours, et, si on la prend, il ne faut pas mouiller le tapis de bain ; il ne faut froisser personne ; il faut acheter un appareil ménager ici et non pas là, sinon "qui c'est qui viendra le réparer ?" ; il ne faut pas jeter l'argent par la fenêtre ("Regarde où tu le passes !") ; il faut faire sa prière, tous les soirs, avant de s'endormir ; il faut avoir peur de la "popoye", qui viendra la nuit me chercher, et des poux, qui m'emmèneront jusqu'à la rivière "Tarn" ; il ne faut pas oublier de ramener des pilchards d'Unico ; il ne faut pas arriver un tout petit peu en retard, mais longtemps à l'avance (le quart-d'heure toulousain a trouvé son antonyme, les trois-quarts d'heure aveyronnais) ; il est hors de question que je "prenne" un appartement, il faut...
Le "moi" est haïssable. Mais le haïssable est une énergie. Donc, le "moi" est une énergie.
Le "je" a ses règles.
(A suivre.)
Joël Fauré
Ephémérides.
Vendredi 18 avril 1980 : Installation du téléphone.
Téléphone !
Je crois que le temps est venu que je donne moins d'importance au téléphone. J'attends d'une minute à l'autre de mauvaises nouvelles de la femme de ma vie. Dès maintenant, je vais le poser sur "Le Petit Robert" ou "Le Grand Albert", lui donner une assise moins moelleuse, une situation moins léonine. Je ne réponds presque plus en direct ; je laisse la technologie moderne enregistrer les éventuels messages de mes correspondants. Et c'est moi qui rappelle.
Savez-vous que c'est le Muretain Clément Ader qui a installé le premier téléphone à l'Elysée ?
Chez nous, à la campagne, il a fallu attendre 1980 pour qu'on nous l'installât. Jusqu'alors, nous n'avions de voix au chapitre que de façon très limitée, et, le plus souvent, nous fermions notre gueule devant ceux qui parlaient plus fort.
Le téléphone avait quatre murs et un toit ; c'était une cabine de béton, avec une porte-vitrée, posée en haut de la place du hameau des "Luquets", juste ne vis-à-vis du lavoir. Pour y accéder, il fallait demander la clef à "Barbe" ou à "Fabre".
Quand je pense "téléphone", je vois la couleur noire, puis grise. C'est associé à l'appareil. Je vois quelque chose de gros et de gris, posé dans un lieu investi d'un vertigineux pouvoir. Téléphoner, c'était une action pas anodine du tout, mais justifiée. C'était pour annoncer ou entendre une grosse nouvelle, mauvaise de préférence.
J'ai mis du temps à réaliser que les "Postes et Télécommunications" historiques n'ont plus le monopole. Que la Terre n'est plus à Dieu ?
Le téléphone est un objet magique certes. Je l'ai connu à cadran. Il fallait glisser un index dans un trou, jouer à la loterie dans un bruit de crécelle. Ca prenait du temps, même s'il n'y avait que six numéros. L'écouteur, dans son logement, était un espion autorisé par le Gouvernement, breveté par les Postes. Puis sont venues les premières touches. Une simple pression sur un clavier, sur des touches disposées en rectangle, renouvelée un nombre croissant de fois conduisait ailleurs.
Les mots passent-ils dans des tubes, des fils ou des tuyaux ?
La cabine du hameau des "Luquets" a été détruite. Il y a un abri-bus à la place. C'est moindre mal.
Hier, le téléphone avait quatre murs et un toit ; il était assujetti par un corset de contraintes ; aujourd'hui, il est au fond de la poche, et il se déplace quand vous vous déplacez.
L'appareil agressif qui faisait sursauter ma mère chaque fois qu'il sonnait me fait sursauter à mon tour. Je suis vexé comme un pou quand je n'ai pas d'appel ("Personne ne pense à moi, je suis atteint d'abandonnite aiguë.") ; je suis excédé quand j'en ai trop. (On ne peut pas me lâcher ? M'oublier ?)
Je passe des heures entières à attendre un appel qui ne vient pas. Déçu, je sors de chez moi. La première personne que je croise, parce que quelqu'un l'appelle, dégaine son portable qui fait aussi des photos regardables immédiatement.
A Bessières, quand ma mère apportait des pellicules chez "Turroques", il fallait attendre une bonne semaine avant le développement.
Le système "M".
Avec "le système M" comme Maman, il ne faut pas user, il ne faut pas gêner ; il faut voter à droite parce qu'on va à l'église le jour de Pâques et de Noël ; il faut aller se confesser, même si on n'a rien à se reprocher ; il ne faut pas manger de viande le mercredi des Cendres et le vendredi Saint ; il ne faut pas resservir un deuxième apéritif à monsieur Jurétig ; ce n'est pas la peine de prendre une douche tous les jours, et, si on la prend, il ne faut pas mouiller le tapis de bain ; il ne faut froisser personne ; il faut acheter un appareil ménager ici et non pas là, sinon "qui c'est qui viendra le réparer ?" ; il ne faut pas jeter l'argent par la fenêtre ("Regarde où tu le passes !") ; il faut faire sa prière, tous les soirs, avant de s'endormir ; il faut avoir peur de la "popoye", qui viendra la nuit me chercher, et des poux, qui m'emmèneront jusqu'à la rivière "Tarn" ; il ne faut pas oublier de ramener des pilchards d'Unico ; il ne faut pas arriver un tout petit peu en retard, mais longtemps à l'avance (le quart-d'heure toulousain a trouvé son antonyme, les trois-quarts d'heure aveyronnais) ; il est hors de question que je "prenne" un appartement, il faut...
Le "moi" est haïssable. Mais le haïssable est une énergie. Donc, le "moi" est une énergie.
Le "je" a ses règles.
(A suivre.)
Joël Fauré