13 août 2007
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Ephémérides.
Morceaux choisis.
Lundi 1er janvier 1979. Repas avec toute la famille. Smic à 11 F 31.
Saucisson-beurre. - Pâté de foie de canard. - Plateau coeurs d'artichauds farcis avec riz saumon en boîte mayonnaise sur un lit de coeurs de palmiers entourés d'oeufs durs rapés garnis d'olives noires. - Quiche. - Truites de l'Aveyron. - Champignons de Paris. - Dinde. - Bûche, moka, Saint-Honoré. Bonne Journée.
Plan de table.
On parle souvent de table des matières. Mais on parle peu de la matière des tables. Celles que ma mère dressa étaient de bonne constitution. Il le fallait bien, au regard de ses talents de cordon bleu. C'était très bon ce qu'elle faisait : un "régal familier". Les convives se souviennent encore des pléthoriques repas qu'elle élaborait avec une grande virtuosité.
Ne me demandez surtout pas comment, un jour, elle accomplit le miracle de réunir autour d'une même table, "Germaine", de Pibrac ; "Bernadette", de Lourdes ; Alfred Binet, un psychologue de renom, et même un certain Jean-Baptiste Poquelin époux Molière, auteur très dramatique.
Ma mère avait passé la matinée dans les fumets, les écalages et les épluchures. Les victuailles abondaient et les conversations aussi.
Bernadette et Germaine se plaignaient d'avoir reçu, en direct du catalogue de "La Redoute", une auréole qui n'était pas à leur taille. Elles n'avaient pas une aussi grosse tête que ça. Ma mère leur indiqua qu'il existait un très bon service "Repris et échangé sans frais, satisfait ou remboursé." Molière, très ému d'être chez une amphitryonne nommée Trémolières, ne put s'empêcher de donner de mémoire quelques morceaux choisis de sa dernière pièce :
"- Combien serez-vous de gens à table ?
- Nous serons huit ou dix. Mais il ne faut prendre que huit. Quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix.
- Cela s'entend.
- Et bien, il faudra quatre grands potages et cinq assiettes. Potages, bisque, potage de perdrix aux choux verts, potage de santé, potage de canard aux navets."
Ma mère rayonnait.
" - Entrées : fricassé de poulet, tourte de pigeonneaux, ris de veau, boudin blanc et morilles."
Ma mère jubilait.
" - Rôt : dans un grandissime bassin dressé en pyramide : une grande longe de veau de rivière, trois faisans, trois poulardes grasses, douze perdreaux, deux douzaines de cailles, trois douzaines d'ortolans et quatre grands civets. Entremets..."
Ma mère irradiait. Moi, je salivais. On n'en était encore qu'aux hors-d'oeuvre. Les chefs-d'oeuvre, c'était pour un peu plus tard.
Et Molière poursuivait :
" - Apprenez que c'est un coupe-gorge qu'une table remplie de trop de viandes ; que pour se bien montrer ami de ceux que l'on invite, il faut que la frugalité règne dans les repas qu'on donne, et que, suivant le dire d'un ancien, il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger."
Je me retrouvai déçu. Malgré mon souci maladif de faire profil bas et rester silencieux, Molière me toisa : "Vous avez de bonnes joues, jeune homme. Vous devriez faire du théâtre."
Tout redevint plus doctoral et définitif lorsqu'Alfred Binet résuma, le visage cramoisi par les vins et les sauces, sa conception du fétichisme : "C'est un substitut du pénis, et la crainte de la castration." Il rajouta : "A ce propos, savez-vous que Freud, ce connard opportuniste, recevait ses patients en charentaises ?"
Je surpris Bernadette et Germaine s'échanger un regard entendu. Il va sans dire que je me gardai de dire que j'eusse préféré qu'en lieu et place de sabots, elles portassent de hautes cuissardes. Je serais allé à la messe plus souvent.
(A suivre.)
Joël Fauré
Morceaux choisis.
Lundi 1er janvier 1979. Repas avec toute la famille. Smic à 11 F 31.
Saucisson-beurre. - Pâté de foie de canard. - Plateau coeurs d'artichauds farcis avec riz saumon en boîte mayonnaise sur un lit de coeurs de palmiers entourés d'oeufs durs rapés garnis d'olives noires. - Quiche. - Truites de l'Aveyron. - Champignons de Paris. - Dinde. - Bûche, moka, Saint-Honoré. Bonne Journée.
Plan de table.
On parle souvent de table des matières. Mais on parle peu de la matière des tables. Celles que ma mère dressa étaient de bonne constitution. Il le fallait bien, au regard de ses talents de cordon bleu. C'était très bon ce qu'elle faisait : un "régal familier". Les convives se souviennent encore des pléthoriques repas qu'elle élaborait avec une grande virtuosité.
Ne me demandez surtout pas comment, un jour, elle accomplit le miracle de réunir autour d'une même table, "Germaine", de Pibrac ; "Bernadette", de Lourdes ; Alfred Binet, un psychologue de renom, et même un certain Jean-Baptiste Poquelin époux Molière, auteur très dramatique.
Ma mère avait passé la matinée dans les fumets, les écalages et les épluchures. Les victuailles abondaient et les conversations aussi.
Bernadette et Germaine se plaignaient d'avoir reçu, en direct du catalogue de "La Redoute", une auréole qui n'était pas à leur taille. Elles n'avaient pas une aussi grosse tête que ça. Ma mère leur indiqua qu'il existait un très bon service "Repris et échangé sans frais, satisfait ou remboursé." Molière, très ému d'être chez une amphitryonne nommée Trémolières, ne put s'empêcher de donner de mémoire quelques morceaux choisis de sa dernière pièce :
"- Combien serez-vous de gens à table ?
- Nous serons huit ou dix. Mais il ne faut prendre que huit. Quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix.
- Cela s'entend.
- Et bien, il faudra quatre grands potages et cinq assiettes. Potages, bisque, potage de perdrix aux choux verts, potage de santé, potage de canard aux navets."
Ma mère rayonnait.
" - Entrées : fricassé de poulet, tourte de pigeonneaux, ris de veau, boudin blanc et morilles."
Ma mère jubilait.
" - Rôt : dans un grandissime bassin dressé en pyramide : une grande longe de veau de rivière, trois faisans, trois poulardes grasses, douze perdreaux, deux douzaines de cailles, trois douzaines d'ortolans et quatre grands civets. Entremets..."
Ma mère irradiait. Moi, je salivais. On n'en était encore qu'aux hors-d'oeuvre. Les chefs-d'oeuvre, c'était pour un peu plus tard.
Et Molière poursuivait :
" - Apprenez que c'est un coupe-gorge qu'une table remplie de trop de viandes ; que pour se bien montrer ami de ceux que l'on invite, il faut que la frugalité règne dans les repas qu'on donne, et que, suivant le dire d'un ancien, il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger."
Je me retrouvai déçu. Malgré mon souci maladif de faire profil bas et rester silencieux, Molière me toisa : "Vous avez de bonnes joues, jeune homme. Vous devriez faire du théâtre."
Tout redevint plus doctoral et définitif lorsqu'Alfred Binet résuma, le visage cramoisi par les vins et les sauces, sa conception du fétichisme : "C'est un substitut du pénis, et la crainte de la castration." Il rajouta : "A ce propos, savez-vous que Freud, ce connard opportuniste, recevait ses patients en charentaises ?"
Je surpris Bernadette et Germaine s'échanger un regard entendu. Il va sans dire que je me gardai de dire que j'eusse préféré qu'en lieu et place de sabots, elles portassent de hautes cuissardes. Je serais allé à la messe plus souvent.
(A suivre.)
Joël Fauré