19 août 2007
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"Maman, ne vends pas la maison"
chante Charles Trenet. Et il chante aussi : "Quand sur la Grand'Route de Port-Vendres, les écriteaux d'maisons à vendre sauront très bien qu'en verité, ils ne sont lus que pendant l'été". Les circonstances m'ont épargné. Je n'ai pas eu à voir la maison-mère tranformée en maison de pain d'épices dans la vitrine d'un boutiquier, avec une étiquette collée dessus.
Je n'ai jamais su pourquoi on appelait un notaire homme "Maître", et pas "Maîtresse" une femme notaire ? Vous croyez que ça porterait à confusion ? Ah bon ? Pourtant, c'est assez à la mode de tout vouloir féminiser...
A Bessières, Maîtresse C. s'est chargée de tout.
Esau a échangé son droit d'aînesse contre un plat de lentilles. Moi, si j'avais eu des lentilles sous la dent, je les aurais mangées. Avec des couennes et du petit salé, c'est délicieux. Mais si j'en avais pas eu, j'aurais pas fait tout ce foin.
Moi, j'ai fait celui qui, sans ignorer son numéro de dossard, ne sait plus où il doit se placer. Je me suis fait petit. Pas concerné. Profil bas.
L'étage a été libéré.
Maîtresse a dit qu'il fallait vider la maison-mère, car elle avait trouvé un acquéreur.
Rien n'est neutre dans une maison. Vider : le mot est violent. L'inventaire est impressionnant : des choses minuscules et essentielles. Nos parents ont été des accumulateurs.
Que les pièces paraissent petites, vides, résonnantes. La chambre orange se refuse encore à rendre son mystère.
La chambre de ma mère n'est plus le sanctuaire dédié à la Vierge de Lourdes ; que vont devenir ses eaux et ses cierges bénits, ses déclinaisons en matière plastique -le corps s'est moulé et a pris de la bouteille, la couronne tient lieu de bouchon - ? Et si la Vierge, dans le déménagement, venait à perdre ses eaux ? "Nous serions propres".
Il ne faudrait jamais avoir à vider la maison de ses parents un jour de pluie et de froideur. Si j'ai un conseil à vous donner, faites-le par beau temps. Si j'ai un autre conseil à vous donner, faites en sorte d'être fille ou fils unique.
Le garage a été libéré.
On vient de l'apprendre : l'étage a été libéré. Presque quarante ans qu'il était retenu. Tout a été stocké au garage. Nous procédons par étapes. Nous cédons par niveaux. Maintenant, sauf creusement, il n'y a plus rien en dessous. Où va-t-on bien pouvoir mettre tout "ça" ? Il reste bien le vieux poulailler, bâti de briques et de broc, en annexe, en dépendances, en orangerie... Ce qu'il reste est donc entreposé au poulailler, déserté de ses gallinacées, encore beurré de colombine. Il est bien entendu que ledit poulailler restera dans la sacro-sainte famille, après détachement de la parcelle. On allume un grand feu, et on y jette grande quantité de "Pèlerin du XXe siècle"."On l'a toujours vu à la maison" dixit la femme de ma vie, et grand nombre de "Libération" que j'aurais bien aimé conserver, pour faire des colonnes de Buren et pour me souvenir des annonces "chéries".
La maison est une coquille vide.
Exode rural.
Je ne l'ai pas souhaité, cet exode rural. Je suis un garçon de la campagne. Je suis un enfant des bois, des forêts. J'ai été élevé avec des bêtes sauvages.
Je suis retranché dans ma réserve, en plein centre d'une ville "où y'a même pas de place pour se garer" (Gerard Manset), près d'un tribunal où je suis convoqué tous les matins.
Je vis dans une boîte d'allumettes. Grand modèle, mais une boîte d'allumettes quand même.
Dans la petite cour, j'ai garé une bicyclette, que je tiens de ma mère, qui la tenait elle-même de "Massip", entrepreneur de monuments funéraires à Bessières, chez qui elle allait faire des ménages.
Lundi 20 mars 2006.
Premier jour du Printemps.
On a volé mon vélo...
Il était là, juste en face, dans la cour.
Oh ! Bien sûr, il était pas très beau, il était pas tout neuf, mais j'y tenais.
C'était un souvenir de ma mère.
Comment vous le décrire ?
C'était donc un vélo de femme, blanc cassé, avec l'éclairage cassé lui aussi... Il était là, la roue sagement introduite dans la glissière.
Alors, si celui ou celle qui l'a "emprunté" se "reconnaît", et bien, je serais heureux qu'il le remette à sa place...
Faites-le, par respect et en souvenir de ma mère...
Joël Fauré
2e étage
Tél. : 05.61.14.03.02 (Non, je n'ai pas de portable, je voudrais pas qu'on me le vole aussi...)
Je punaise ce message sur le tableau d'affichage à l'usage des locataires.
Le lendemain, le vélo a retrouvé sa place.
Dans l'escalier, alors que je descends de chez moi, je croise une jeune femme que je ne connais pas, qui m'aborde :
" - Vous êtes bien Joël ?"
Elle est aussi confuse qu'un enfant rongé par le remords. Dans ses mains, elle porte une magnifique renoncule blanche en pot.
" - Je voudrais m'excuser. C'est moi qui ai pris votre vélo. Je croyais qu'il était abandonné".
Et pour cautionner ses dires, et se faire pardonner, elle m'offre la fleur.
Touché, au nom de la femme de ma vie, j'ai dû bredouiller quelque chose où il devait y avoir "C'est pas grave", "Merci de l'avoir ramené", "Je ne vous en veux pas", "Votre geste est rare et vous honore".
Je crois même que j'ai dû rajouter : "Si vous en avez l'utilité, vous pouvez vous en servir quand vous voulez..."
(A suivre.)
Joël Fauré
chante Charles Trenet. Et il chante aussi : "Quand sur la Grand'Route de Port-Vendres, les écriteaux d'maisons à vendre sauront très bien qu'en verité, ils ne sont lus que pendant l'été". Les circonstances m'ont épargné. Je n'ai pas eu à voir la maison-mère tranformée en maison de pain d'épices dans la vitrine d'un boutiquier, avec une étiquette collée dessus.
Je n'ai jamais su pourquoi on appelait un notaire homme "Maître", et pas "Maîtresse" une femme notaire ? Vous croyez que ça porterait à confusion ? Ah bon ? Pourtant, c'est assez à la mode de tout vouloir féminiser...
A Bessières, Maîtresse C. s'est chargée de tout.
Esau a échangé son droit d'aînesse contre un plat de lentilles. Moi, si j'avais eu des lentilles sous la dent, je les aurais mangées. Avec des couennes et du petit salé, c'est délicieux. Mais si j'en avais pas eu, j'aurais pas fait tout ce foin.
Moi, j'ai fait celui qui, sans ignorer son numéro de dossard, ne sait plus où il doit se placer. Je me suis fait petit. Pas concerné. Profil bas.
L'étage a été libéré.
Maîtresse a dit qu'il fallait vider la maison-mère, car elle avait trouvé un acquéreur.
Rien n'est neutre dans une maison. Vider : le mot est violent. L'inventaire est impressionnant : des choses minuscules et essentielles. Nos parents ont été des accumulateurs.
Que les pièces paraissent petites, vides, résonnantes. La chambre orange se refuse encore à rendre son mystère.
La chambre de ma mère n'est plus le sanctuaire dédié à la Vierge de Lourdes ; que vont devenir ses eaux et ses cierges bénits, ses déclinaisons en matière plastique -le corps s'est moulé et a pris de la bouteille, la couronne tient lieu de bouchon - ? Et si la Vierge, dans le déménagement, venait à perdre ses eaux ? "Nous serions propres".
Il ne faudrait jamais avoir à vider la maison de ses parents un jour de pluie et de froideur. Si j'ai un conseil à vous donner, faites-le par beau temps. Si j'ai un autre conseil à vous donner, faites en sorte d'être fille ou fils unique.
Le garage a été libéré.
On vient de l'apprendre : l'étage a été libéré. Presque quarante ans qu'il était retenu. Tout a été stocké au garage. Nous procédons par étapes. Nous cédons par niveaux. Maintenant, sauf creusement, il n'y a plus rien en dessous. Où va-t-on bien pouvoir mettre tout "ça" ? Il reste bien le vieux poulailler, bâti de briques et de broc, en annexe, en dépendances, en orangerie... Ce qu'il reste est donc entreposé au poulailler, déserté de ses gallinacées, encore beurré de colombine. Il est bien entendu que ledit poulailler restera dans la sacro-sainte famille, après détachement de la parcelle. On allume un grand feu, et on y jette grande quantité de "Pèlerin du XXe siècle"."On l'a toujours vu à la maison" dixit la femme de ma vie, et grand nombre de "Libération" que j'aurais bien aimé conserver, pour faire des colonnes de Buren et pour me souvenir des annonces "chéries".
La maison est une coquille vide.
Exode rural.
Je ne l'ai pas souhaité, cet exode rural. Je suis un garçon de la campagne. Je suis un enfant des bois, des forêts. J'ai été élevé avec des bêtes sauvages.
Je suis retranché dans ma réserve, en plein centre d'une ville "où y'a même pas de place pour se garer" (Gerard Manset), près d'un tribunal où je suis convoqué tous les matins.
Je vis dans une boîte d'allumettes. Grand modèle, mais une boîte d'allumettes quand même.
Dans la petite cour, j'ai garé une bicyclette, que je tiens de ma mère, qui la tenait elle-même de "Massip", entrepreneur de monuments funéraires à Bessières, chez qui elle allait faire des ménages.
Lundi 20 mars 2006.
Premier jour du Printemps.
On a volé mon vélo...
Il était là, juste en face, dans la cour.
Oh ! Bien sûr, il était pas très beau, il était pas tout neuf, mais j'y tenais.
C'était un souvenir de ma mère.
Comment vous le décrire ?
C'était donc un vélo de femme, blanc cassé, avec l'éclairage cassé lui aussi... Il était là, la roue sagement introduite dans la glissière.
Alors, si celui ou celle qui l'a "emprunté" se "reconnaît", et bien, je serais heureux qu'il le remette à sa place...
Faites-le, par respect et en souvenir de ma mère...
Joël Fauré
2e étage
Tél. : 05.61.14.03.02 (Non, je n'ai pas de portable, je voudrais pas qu'on me le vole aussi...)
Je punaise ce message sur le tableau d'affichage à l'usage des locataires.
Le lendemain, le vélo a retrouvé sa place.
Dans l'escalier, alors que je descends de chez moi, je croise une jeune femme que je ne connais pas, qui m'aborde :
" - Vous êtes bien Joël ?"
Elle est aussi confuse qu'un enfant rongé par le remords. Dans ses mains, elle porte une magnifique renoncule blanche en pot.
" - Je voudrais m'excuser. C'est moi qui ai pris votre vélo. Je croyais qu'il était abandonné".
Et pour cautionner ses dires, et se faire pardonner, elle m'offre la fleur.
Touché, au nom de la femme de ma vie, j'ai dû bredouiller quelque chose où il devait y avoir "C'est pas grave", "Merci de l'avoir ramené", "Je ne vous en veux pas", "Votre geste est rare et vous honore".
Je crois même que j'ai dû rajouter : "Si vous en avez l'utilité, vous pouvez vous en servir quand vous voulez..."
(A suivre.)
Joël Fauré