LE CIRQUE EN GRANDES POMPES
Catharina au Cirque Jean Richard, en 1982
Photo Collection Bernard Albarède
Bien qu'ils les aient souvent en l'air, les gens du cirque ont les pieds bien "campés" sur terre. A seule fin de les protéger ou les mettre en valeur, ces
parties du corps, instruments de travail souvent, s'embellissent et se parent d'une gamme de chaussures qu'il serait saugrenu d'imaginer ailleurs.
Les clowns et les dompteurs surtout, fourniront matière à notre propos.
D'entrée de jeu, celui-ci peut paraître futile, voire terre à terre, mais il conduira à grands pas vers une approche plus humaine du sujet.
Dresser un inventaire de cet étonnant rayon chaussures ne sera pas fastidieux : la tatane, ou encore la péniche de l'auguste, les grandes bottes des dompteuses et dompteurs en seront les
pièces-maîtresses, pièces à conviction.
"Dis-moi qui tu chausses, et je te dirai qui tu es."
Au cirque, la chaussure a pris de l'ambition : elle s'est émancipée soit au dessus du genou, soit en largeur, reléguant les
orteils au rang de grotesques moignons. Facette jusqu'auboutiste du cirque. On retrouve trace des premiers pas disproportionnés d'auguste dans les enceintes équestres où l'écuyer devient
malencontreusement maladroit. Sa vêture, tout comme ses chaussures, sont déjà excentriques.
Pour ce qui est des dompteurs, la fastueuse époque des ménageries offre une galerie de belluaires élégants, en brandebourgs et queues-de-pies, et toujours superbement bottés.
Il serait enfin malvenu de passer sous silence les chausses de "Monsieur Loyal", attributs du porte-voix du cirque.
Peut-on imaginer un maître de manège autrement qu'en chapeau haut-de-forme, veste rouge, gants blancs, mais toujours les tarses calés dans des bottes de cuir noir, carénées comme des paquebots de
croisière ?
Toutes ces chaussures ont fait bien du chemin pour parvenir jusqu'à nous ; leurs semelles, qui n'ont foulé que le sable ou la sciure des pistes (ou les allées sinueuses de nos phantasmes)
semblent inusables. Il faut dire que l'imagerie populaire et la mémoire collective leur ont conféré des vertus magiques ou bénéfiques : les bottes de sept lieues, celles du chat botté, la
pantoufle égarée (et retrouvée) de Cendrillon...
D'un artiste, à qui l'on reprochait une mauvaise réplique, on s'entendit répondre : "Vous verrez quand j'aurai les bottes !"
Elles sont tout à la fois
confortables, esthétiques et fonctionnelles.
Sous les feux de la rampe, dans la lumière de la piste, elles brillent d'une aura qui en rehausse les mérites : la péniche de l'auguste devient alors laborieuse embarcation, qui vogue sur l'onde
en zigzaguant, au milieu d'un peuple de pêcheurs et de mariniers qui leur sourient au passage ; les longues bottes de la dompteuse, dans les reflets desquelles se mirent les fauves se muent en
écrins fantastiques où s'épousent pour une heure ou un soir peau de belle et peau de bête pas peau de chagrin.
Quant aux "sabots", ils ont au cirque l'avantage de s'illustrer sous deux façades : la première sous la forme que l'on connaît le plus communément, semelle de bois et empeigne de cuir qu'enfilent
vite les artistes pressés, et la seconde, matérialisée par une cage montée sur des roues.
D'artistes bottés comme Scaramouche ou D'Artagnan, on se souvient surtout d'Alfred Court. Une image demeure : on y voit le belluaire, assis sur un réquisit, tenant en respect un "tapis'" de
tigres. Alfred Court est glissé dans de longues bottes de cuir, ici symboles de la suprématie pacifique exercée sur les fauves.
Plus près de nous, l'un des programmes du cirque Jean Richard offrait un numéro de dressage où de dociles félins étaient "à la botte" de leur dompteuse.
Ses cuissardes bleues, du meilleur effet, ne manquaient pas de style.
Ces cas de figures pourraient se multiplier, tant ils sont l'expression par le bas et en pied du typisme des personnages. Certaines affiches de ménageries pourraient aujourd'hui encore très bien
servir de campagne publicitaire à un fabricant de chaussures : ""Faites comme la dompteuse X, portez des bottes Y et vous aurez tous les hommes à vos pieds." La démarche est volontiers
fétichiste.
Pour les clowns, s'ils ont trouvé chaussure à leur pied, ils s'y marchent volontiers dessus, et feignent de hurler de douleur, avec grands jets de liqueur lacrymale à l'appui. Larmes de
crocodiles. Les "talons d'Achille" se complaisent dans des mocassins qui veulent aller de l'avant. Là encore, une marque de cirage pourrait y trouver un excellent support promotionnel.
Certains bottiers du spectacle, tel Roger Vivier, le créateur des cuissardes de Brigitte Bardot, ont fait sensation dans la "presse à sandale" et, pour nous "avoir mis l'or à la babouche" ont
ainsi laissé leur empreinte sur les pistes, les scènes et les coulisses de nos nostalgies.
En France, Edith Cresson, qui fut, en 1991, la première femme Premier Ministre, fut representée dans une émission satirique de la télévision sous les traits d'"Amabotte."
On voulait
ainsi jouer sur les mots ; et elle-même en eut de très décapants ; on se souvient de sa remarque à propos de la Bourse, qui pourrait parfaitement convenir aux bottes qu'elle a peut-être portées :
"J'en ai rien à cirer."
A lire : "Traité du fétichisme à l'usage des jeunes générations". Jean Streff. - Editions Denoël. 2005.
Joël Fauré
-----
PROCHAINEMENT SUR CET ECRAN :
"LE LIVRE DE MON PERE"
le nouveau récit captivant de Joël Fauré