27 août 2007
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A la mémoire de mon père.
Livret de famille.
Le chef de famille devra conserver soigneusement ce livret, car il constitue un document précieux qui, par la suite, rendra les plus grands services dans la rédaction des actes de l'Etat-Civil postérieurs au mariage.
Il évitera des erreurs dont la rectification ne pourrait être opérée que par un jugement du tribunal.
Département de l'Aveyron.
Mairie de Lestrade-Thouels.
Mariage du trente septembre mil neuf cent quarante neuf.
Entre Fauré Fernand Pierre Guillaume, né le 29 novembre 1922 à Buzet-sur-Tarn, Département de la Haute-Garonne. Profession : Agriculteur. Domicilié à Buzet-sur-Tarn (Haute-Garonne) Fils légitime de Fauré Emile Célestin, décédé, et de Vabre Hélène, Jeanne.
Et Mademoiselle Trémolières Marthe Madeleine Mathilde, née le 21 novembre 1927 à Lestrade-Thouels, département de l'Aveyron. Profession : sans profession. Domiciliée à Lestrade-Thouels. Fille légitime de Trémolières Pierre et de Lacan Marie.
Contrat de mariage : néant.
Délivré le 30 septembre 1949.
Délivré de famille.
Chiche ! J'appelle le journal "Détective", très lu dans les chaumières fumantes -on y calcine grande quantité de dindes sans que personne ne s'en offusque- et je leur dit que j'ai un scoop : je viens de tuer mon père le jour de Noël.
C'est faux ? Bien sûr. Mais qui me croira ? On croira beaucoup plus que c'est vrai.
Le poison violent était dans le dessert. De la digitaline. C'est un docteur dépressif qui m'en a parlé. Quand il me l'a dit, il ne parlait pas en qualité de docteur, mais en qualité de malade. Nuance.
A l'hebdomadaire "Détective", il faut des mots lourds. Il y a toute une semaine pour les engraisser.
Et puis, si je veux plaire à mon éditeur et publier un nouveau livre, il faut au moins ça : du sensationnel ! Un fait-divers. Ce que tout le monde réprouve. Ce qui fascine tout le monde. Tout le monde souhaite le transgresser.
C'est une photo.
Elle est datée du 23 avril 1967. Elle me paraît importante. Au premier regard, elle ne présente aucun intérêt. Et pourtant, elle est truffée de détails essentiels. Si vous n'avez pas déjà posé ce livre ou changé de blog, pour en parcourir un autre, plus en réponse à ce que vous attendez, je vais vous aider à la décrypter, voulez-vous ?
Ce sont deux maisons, assez distantes, reliées par une route de campagne. L'une est en chantier. Il a fallu quelques briques et pas mal de tuiles. Ca se voit. L'opérateur ou l'opératrice du cliché a fait pression à ce moment-là : quand un homme à mobylette s'apprête à tourner sur le site du chantier interdit au public.
Cet homme, c'est mon père.
Des deux maisons, l'une a été la sienne, l'autre sera la prochaine. Il n'est pas "Cadet Rousselle" : il n'aura qu'une maison à la fois. Mais là, c'est vrai, il est entre deux demeures. Il s'est décidé à "faire construire" sur un terrain transgénérationnel. La "vieille" maison a été vendue à un ancien garagiste de Toulouse. Il saura la réparer.
Si je n'ai aucun mal à vous décrire la belle flore de l'endroit -la frise de la forêt de Buzet, une haie vive aujourd'hui disparue, un chêne sur le bas-côté de la route à qui Electricité de France a écarté les branches pour laisser passer les fils électriques qui, demain ou après-demain, éclaireront "La Maison Neuve" -je dois m'armer d'une loupe pour distinguer un tracteur, un Massey-Ferguson me certifie ma mémoire, d'André Molinier. En cette fin avril, que peut-on bien faire dans les champs ? Labourage ? Semailles ? Une fausse amie-six Citroën, garée au deuxième plan, entrave les précisions.
Ce qui est plus éloquent, c'est toute l'étendue du premier plan. Mon père a imprimé au sol sa marque, sa patte, sa griffe. Il a soigneusement bêché la terre dans des formes mathématiques impeccables, et il a fait croître de superbes planches d'oignons. Je vois là aussi, voisins, des rangs de salade, de la chicorée ou de la scarole sans doute, et quelques pieds d'aillet.
La volonté de l'auteur du cliché n'était assurément pas de mettre en valeur la maison neuve en devenir (on n'en voit qu'une demie-façade), mais bien de "capturer" l'image de mon père...
Une photo volée donc, un instant pris à celui qui aimait vivre terré.
Quelle idée !
Pourquoi m'atteler encore à ce travail d'écriture aléatoire sur mon père ? Après avoir tenté d'approcher ma mère dans "La femme de ma vie", pourquoi remettre de nouveau mon cerveau et mes tripes sur la table ? Pour faire peur aux enfants ? Déjà deux pages écrites sans que je n'en prisse vraiment garde, et affluent à mon écritoire des mots et des moments, vains et banaux lorsqu'ils se laissèrent vivre, qui se revêtissent maintenant d'habits d'apparat.
Le temps a fait son affaire, et demeurent les pleins et les déliés des traits qui plus s'effacent plus laissent de traces.
(A suivre.)
Joël Fauré
Livret de famille.
Le chef de famille devra conserver soigneusement ce livret, car il constitue un document précieux qui, par la suite, rendra les plus grands services dans la rédaction des actes de l'Etat-Civil postérieurs au mariage.
Il évitera des erreurs dont la rectification ne pourrait être opérée que par un jugement du tribunal.
Département de l'Aveyron.
Mairie de Lestrade-Thouels.
Mariage du trente septembre mil neuf cent quarante neuf.
Entre Fauré Fernand Pierre Guillaume, né le 29 novembre 1922 à Buzet-sur-Tarn, Département de la Haute-Garonne. Profession : Agriculteur. Domicilié à Buzet-sur-Tarn (Haute-Garonne) Fils légitime de Fauré Emile Célestin, décédé, et de Vabre Hélène, Jeanne.
Et Mademoiselle Trémolières Marthe Madeleine Mathilde, née le 21 novembre 1927 à Lestrade-Thouels, département de l'Aveyron. Profession : sans profession. Domiciliée à Lestrade-Thouels. Fille légitime de Trémolières Pierre et de Lacan Marie.
Contrat de mariage : néant.
Délivré le 30 septembre 1949.
Délivré de famille.
Chiche ! J'appelle le journal "Détective", très lu dans les chaumières fumantes -on y calcine grande quantité de dindes sans que personne ne s'en offusque- et je leur dit que j'ai un scoop : je viens de tuer mon père le jour de Noël.
C'est faux ? Bien sûr. Mais qui me croira ? On croira beaucoup plus que c'est vrai.
Le poison violent était dans le dessert. De la digitaline. C'est un docteur dépressif qui m'en a parlé. Quand il me l'a dit, il ne parlait pas en qualité de docteur, mais en qualité de malade. Nuance.
A l'hebdomadaire "Détective", il faut des mots lourds. Il y a toute une semaine pour les engraisser.
Et puis, si je veux plaire à mon éditeur et publier un nouveau livre, il faut au moins ça : du sensationnel ! Un fait-divers. Ce que tout le monde réprouve. Ce qui fascine tout le monde. Tout le monde souhaite le transgresser.
C'est une photo.
Elle est datée du 23 avril 1967. Elle me paraît importante. Au premier regard, elle ne présente aucun intérêt. Et pourtant, elle est truffée de détails essentiels. Si vous n'avez pas déjà posé ce livre ou changé de blog, pour en parcourir un autre, plus en réponse à ce que vous attendez, je vais vous aider à la décrypter, voulez-vous ?
Ce sont deux maisons, assez distantes, reliées par une route de campagne. L'une est en chantier. Il a fallu quelques briques et pas mal de tuiles. Ca se voit. L'opérateur ou l'opératrice du cliché a fait pression à ce moment-là : quand un homme à mobylette s'apprête à tourner sur le site du chantier interdit au public.
Cet homme, c'est mon père.
Des deux maisons, l'une a été la sienne, l'autre sera la prochaine. Il n'est pas "Cadet Rousselle" : il n'aura qu'une maison à la fois. Mais là, c'est vrai, il est entre deux demeures. Il s'est décidé à "faire construire" sur un terrain transgénérationnel. La "vieille" maison a été vendue à un ancien garagiste de Toulouse. Il saura la réparer.
Si je n'ai aucun mal à vous décrire la belle flore de l'endroit -la frise de la forêt de Buzet, une haie vive aujourd'hui disparue, un chêne sur le bas-côté de la route à qui Electricité de France a écarté les branches pour laisser passer les fils électriques qui, demain ou après-demain, éclaireront "La Maison Neuve" -je dois m'armer d'une loupe pour distinguer un tracteur, un Massey-Ferguson me certifie ma mémoire, d'André Molinier. En cette fin avril, que peut-on bien faire dans les champs ? Labourage ? Semailles ? Une fausse amie-six Citroën, garée au deuxième plan, entrave les précisions.
Ce qui est plus éloquent, c'est toute l'étendue du premier plan. Mon père a imprimé au sol sa marque, sa patte, sa griffe. Il a soigneusement bêché la terre dans des formes mathématiques impeccables, et il a fait croître de superbes planches d'oignons. Je vois là aussi, voisins, des rangs de salade, de la chicorée ou de la scarole sans doute, et quelques pieds d'aillet.
La volonté de l'auteur du cliché n'était assurément pas de mettre en valeur la maison neuve en devenir (on n'en voit qu'une demie-façade), mais bien de "capturer" l'image de mon père...
Une photo volée donc, un instant pris à celui qui aimait vivre terré.
Quelle idée !
Pourquoi m'atteler encore à ce travail d'écriture aléatoire sur mon père ? Après avoir tenté d'approcher ma mère dans "La femme de ma vie", pourquoi remettre de nouveau mon cerveau et mes tripes sur la table ? Pour faire peur aux enfants ? Déjà deux pages écrites sans que je n'en prisse vraiment garde, et affluent à mon écritoire des mots et des moments, vains et banaux lorsqu'ils se laissèrent vivre, qui se revêtissent maintenant d'habits d'apparat.
Le temps a fait son affaire, et demeurent les pleins et les déliés des traits qui plus s'effacent plus laissent de traces.
(A suivre.)
Joël Fauré