28 août 2007
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De la difficulté à trouver un titre pour un livre sur son père.
"La Gloire de mon père" était déjà pris par Pagnol. "Celui des Rouquiès" aurait fait trop régionaliste, et j'ai des ambitions nationales. "Un des Rouquiès" aurait plagié Giono ; "Lettre au père" Kafka. "Venez voir, j'ai tué mon père" a effrayé une connaissance : elle a prétendu que les gens l'auraient pris au premier dégré. "J'ai très bien connu mon père" m'aurait peut-être apporté le même succès que "J'ai très bien connu Jacques Brel". "L'homme de ma vie" aurait été la suite logique de l'ouvrage que j'ai consacré à ma mère. J'ai eu une inclinaison pour : "Il ne suffit pas d'un beau titre" et un penchant pour un sous-titre "Histoire d'Oh". Tout reste ouvert.
Finalement, j'ai retenu le titre que vous savez. Qu'en pensez-vous ?
Terre ! Terre !
Entre le septième ciel et le trente-sixième dessous, il y a le plancher des vaches, au ras des pâquerettes. C'est à prendre ou à laisser. Au premier degré. Si d'aucuns, épicuriens, hédonistes, aviateurs comblés entre Toulouse et Santiago du Chili planent dans le premier, et si d'autres, dépressifs, néo-névrosés de carrière croupissent dans le second, mon père, celui d'Hélène, le seul, celui du hameau des "Rouquiès" évolue tant bien que mal sur le troisième.
Quelques arpents de terre, un attelage de lourdes vaches de labour, et tout pour refaire à l'envi un roman champêtre qui plaira à certains, qui déplaira à d'autres. Mille mots affluent à fleur de ma tête. Comment faudra-t-il s'y prendre pour étonner et émouvoir encore avec eux, avec du vocabulaire bien agencé, qui devra dire les foins, les groins, les museaux et les boisseaux ? L'animal et le végétal ?
Devrai-je encore me dérober, emprunter des chemins de traverse, alors que ce que je veux faire, ici, c'est juste parler de celui qui m'a inscrit au grand club du monde ?
L'enfant-laboureur.
Le père de mon père est mort jeune, à 31 ans. Il laissait son fils unique de sept ans enfant-laboureur, auprès d'une mater dolorosa désemparée, sans tendresse, sans humour, à qui il disait "vous" quand il parlait.
L'enfant-laboureur a grandi sans exaltation, sans exultation ; on lui a fait cultiver le malheur comme d'autres cultivent le paradoxe, comme Pagnol fait cultiver l'authentique au bossu des Bastides, dans "Manon des sources".
Oh !
A vingt-sept ans, le maire de Lestrade-Thouels lui remet le Livret de Famille. Ca le change du Livret Militaire. Fernand prend pour épouse Marthe. Ils se marient un jour de pluie. "Mariage pluvieux, mariage heureux" ? Ca se discute.
Ce couple franco-aveyronnais -tout ce qui dépasse un rayon de cinquante kilomètres autour de la ferme natale est étranger- sera un couple de Terriens, très "terre à terre" : la plaine Toulousaine et les causses Rouergats. Leur crédo : le travail. Leurs amusements d'avant le mariage : "C'était la guerre !"
Je ne sais si mes parents ont oublié qu'ils avaient aussi des prénoms, ou qu'ils pouvaient s'inventer des tournures affectueuses qui les auraient suppléés : je les ai souvent entendu s'appeler : "Oh ! Tu es là ?"
Un "Oh" sonore, qui porte loin -il y a de l'espace à la campagne-, qui interpelle.
Un "Oh" méridional. Pas un "o" ferme, mais un "o" ouvert, avec un "e" final bien prononcé.
(A suivre.)
Joël Fauré
"La Gloire de mon père" était déjà pris par Pagnol. "Celui des Rouquiès" aurait fait trop régionaliste, et j'ai des ambitions nationales. "Un des Rouquiès" aurait plagié Giono ; "Lettre au père" Kafka. "Venez voir, j'ai tué mon père" a effrayé une connaissance : elle a prétendu que les gens l'auraient pris au premier dégré. "J'ai très bien connu mon père" m'aurait peut-être apporté le même succès que "J'ai très bien connu Jacques Brel". "L'homme de ma vie" aurait été la suite logique de l'ouvrage que j'ai consacré à ma mère. J'ai eu une inclinaison pour : "Il ne suffit pas d'un beau titre" et un penchant pour un sous-titre "Histoire d'Oh". Tout reste ouvert.
Finalement, j'ai retenu le titre que vous savez. Qu'en pensez-vous ?
Terre ! Terre !
Entre le septième ciel et le trente-sixième dessous, il y a le plancher des vaches, au ras des pâquerettes. C'est à prendre ou à laisser. Au premier degré. Si d'aucuns, épicuriens, hédonistes, aviateurs comblés entre Toulouse et Santiago du Chili planent dans le premier, et si d'autres, dépressifs, néo-névrosés de carrière croupissent dans le second, mon père, celui d'Hélène, le seul, celui du hameau des "Rouquiès" évolue tant bien que mal sur le troisième.
Quelques arpents de terre, un attelage de lourdes vaches de labour, et tout pour refaire à l'envi un roman champêtre qui plaira à certains, qui déplaira à d'autres. Mille mots affluent à fleur de ma tête. Comment faudra-t-il s'y prendre pour étonner et émouvoir encore avec eux, avec du vocabulaire bien agencé, qui devra dire les foins, les groins, les museaux et les boisseaux ? L'animal et le végétal ?
Devrai-je encore me dérober, emprunter des chemins de traverse, alors que ce que je veux faire, ici, c'est juste parler de celui qui m'a inscrit au grand club du monde ?
L'enfant-laboureur.
Le père de mon père est mort jeune, à 31 ans. Il laissait son fils unique de sept ans enfant-laboureur, auprès d'une mater dolorosa désemparée, sans tendresse, sans humour, à qui il disait "vous" quand il parlait.
L'enfant-laboureur a grandi sans exaltation, sans exultation ; on lui a fait cultiver le malheur comme d'autres cultivent le paradoxe, comme Pagnol fait cultiver l'authentique au bossu des Bastides, dans "Manon des sources".
Oh !
A vingt-sept ans, le maire de Lestrade-Thouels lui remet le Livret de Famille. Ca le change du Livret Militaire. Fernand prend pour épouse Marthe. Ils se marient un jour de pluie. "Mariage pluvieux, mariage heureux" ? Ca se discute.
Ce couple franco-aveyronnais -tout ce qui dépasse un rayon de cinquante kilomètres autour de la ferme natale est étranger- sera un couple de Terriens, très "terre à terre" : la plaine Toulousaine et les causses Rouergats. Leur crédo : le travail. Leurs amusements d'avant le mariage : "C'était la guerre !"
Je ne sais si mes parents ont oublié qu'ils avaient aussi des prénoms, ou qu'ils pouvaient s'inventer des tournures affectueuses qui les auraient suppléés : je les ai souvent entendu s'appeler : "Oh ! Tu es là ?"
Un "Oh" sonore, qui porte loin -il y a de l'espace à la campagne-, qui interpelle.
Un "Oh" méridional. Pas un "o" ferme, mais un "o" ouvert, avec un "e" final bien prononcé.
(A suivre.)
Joël Fauré