30 août 2007
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La fièvre aphteuse.
J'ai levé, dans les archives familiales, deux documents. Ils attestent que l'histoire se renouvelle, qu'il est séant d'avoir peur, mais que la peur passe. Une autre vient, mais bien plus tard. Ca laisse une chance à la sérénité. Un clou chasse l'autre. Consolons-nous : le cerveau n'est pas capable de recevoir deux frayeurs à la fois. Une douleur, une souffrance, et une seule à la fois.
Le premier document a dû être blanc. Il est daté du 22 avril 1960. Il émane de la Direction des Services Vétérinaires. Il dit : "Sont déclarés infectés de fièvre aphteuse :
1° Les locaux, cours, enclos, herbages et pâturages appartenant à M. FAURE, dans lesquels se trouvent des animaux malades ou suspects ;
2° Le territoire désigné ci-après :
L'exploitation de M. FAURE à BUZET-sur-TARN et un périmètre de 500 mètres autour de cette exploitation.
Ce territoire, et notamment les animaux des espèces bovine, ovine, caprine et porcine de l'exploitation ci-dessus, sont placés sous surveillance vétérinaire sanitaire.
Des écriteaux portant les mots "fièvre aphteuse" seront apposés sur les poteaux plantés aux limites de la zone d'interdiction, sur toutes les voies qui y donnent accès.
La présente déclaration d'infection ne pourra être levée que lorsqu'il se sera écoulé un délai de quinze jours depuis la guérison du dernier animal atteint et après l'accomplissement, sous la surveillance de l'autorité locale, de toutes les prescriptions relatives à la désinfection.
Agents désinfectants :
1° Le lait de chaux préparé au moment de l'emploi avec de la chaux vive, dans la proportion de 10 % ;
2° Crésol du commerce en solution alcaline additionnée d'eau à raison de 3 %".
Le second a dû connaître semblable blancheur. Il date du 23 mai 1960. Il dit :
"Nous, Préfet de la Haute-Garonne, Officier de la Légion d'Honneur, vu notre arrêté portant déclaration d'infection pour cause de Fièvre Aphteuse des locaux, cours, herbages et pâturages dépendant de la propriété de M. FAURE à BUZET sur TARN, ainsi que les animaux parmi lesquels cette maladie a été constatée ;
Arrêtons :
Est levée la déclaration d'infection prononcée par notre arrêté du 22 avril 1960."
Je revois les étables blanchies à la chaux, où nichent quand même des hirondelles, dans des architectures parfaites. Elles sont fui nos tropiques et je ne serai pas étonné si elles se font de plus en plus rares, puis qu'elles disparaissent à jamais.
La vache est folle ; le poulet est grippé ; le mouton, tremblant ; le lapin a les yeux rouges. Quand on a peur de la grenouille, il faut aller voir la grenouille, et au besoin, en manger les cuisses. Pour désamorcer toutes ces angoisses, je vous livre une recette : mangez-donc un couscous quatre viandes. Vous multipliez ainsi les chances de vos risques. Parce que, on l'oublie trop souvent, un risque reste un risque mais à des chances de ne pas se laisser prendre...
La vieille 203.
Le nouveau propriétaire de notre ancienne maison, Emile Jurétig, ancien garagiste à Toulouse, a donné à mon père la carcasse d'une vieille "203", pour qu'il s'en serve comme abri pour les poules. Pour celles qui seraient malades en voiture, il a construit un petit poulailler de briques et de broc, avec des matériaux de deuxième main.
Le vieux tracteur "Renault R 3042".
Le décrire me donne à l'avance de la joie. On l'avait cédé à mon père pour une pincée d'avoine ou de blé tendre, pour qu'il n'ait plus à crier "hue" et "oh" aux attelages. Il lui avait trouvé une toute petite place, dans un coin du garage de la Maison Neuve.
C'était un gros jouet orange, comme on en voit maintenant reproduits sous film plastique chez les marchands de journaux. Il avait fière allure.
Il était moins élégant qu'un "Soméca", plus massif qu'un "Pony". Le siège était d'un confort spartiate, et les commandes bien ostensibles : axes et segments durs et droits du volant, du frein, de l'accélérateur.
Mais c'est surtout sur le toit que fourmillaient les détails. Le bouchon du radiateur couronnait une calandre grillagée comme une cage à lapins. Un gros champignon non comestible devait sans doute aider à la carburation. Devant le volant, une trappe qui fermait mal trahissait la présence d'une sorte de malle à outils. Ce dont je me souviens surtout, c'est d'une plaque noire verticale, rivetée là, où se découpait un énorme "D" peint en blanc. Dérisoire mise en garde que ce pauvre "D" de danger, que personne ne devait voir sans aucun doute, ancêtre du girophare qui équipe aujourd'hui les engins agricoles. Où était le danger ? Quel était le danger ? Cette plaque, c'était un peu comme un couteau sans manche auquel on a supprimé la lame.
Les flancs de l'impressionnant moteur étaient protégés par des carters ajourés, qui donnaient à l'ensemble un habillage harmonieux.
Enfin, outre le système de relevage arrière, qui m'a longtemps intrigué, le "nez" était constitué par un gros contrepoids de béton, et aux deux extrêmités d'une tige, les "yeux" des phares ne brillaient plus que d'un pâle éclat.
Sur la fin de sa carrière, le brave "Renault type R 3042" s'était récyclé, sur décision de mon père, en objet multi-usages : le contrepoids de béton servait de desserte pour les cagettes de pommes de terre mises à germer ; la tige des phares faisait office de patère, où mon paternel entassait ses ficelles à tomates, ses raphias, un vieux tuyau à siphonner l'essence...
Le tracteur, dégagé de ses obligations domestiques, sert encore dans des occasions qui deviennent rares. Au relevage, on goupille une charrue, ou une décavaillonneuse, et on file à la vigne aérer le sol. Il reste quelques rangées d'un cépage sans distinction, suffisant à produire une piquette maison, pas plus de 10 degrés, 11 les années de bon soleil.
A sa vigne, mon père retrouve son ami d'enfance, Raymond Fabre, dans la sienne. Toutes les deux se touchent. Ils taillent une bavette...
(A suivre)
Joël Fauré
J'ai levé, dans les archives familiales, deux documents. Ils attestent que l'histoire se renouvelle, qu'il est séant d'avoir peur, mais que la peur passe. Une autre vient, mais bien plus tard. Ca laisse une chance à la sérénité. Un clou chasse l'autre. Consolons-nous : le cerveau n'est pas capable de recevoir deux frayeurs à la fois. Une douleur, une souffrance, et une seule à la fois.
Le premier document a dû être blanc. Il est daté du 22 avril 1960. Il émane de la Direction des Services Vétérinaires. Il dit : "Sont déclarés infectés de fièvre aphteuse :
1° Les locaux, cours, enclos, herbages et pâturages appartenant à M. FAURE, dans lesquels se trouvent des animaux malades ou suspects ;
2° Le territoire désigné ci-après :
L'exploitation de M. FAURE à BUZET-sur-TARN et un périmètre de 500 mètres autour de cette exploitation.
Ce territoire, et notamment les animaux des espèces bovine, ovine, caprine et porcine de l'exploitation ci-dessus, sont placés sous surveillance vétérinaire sanitaire.
Des écriteaux portant les mots "fièvre aphteuse" seront apposés sur les poteaux plantés aux limites de la zone d'interdiction, sur toutes les voies qui y donnent accès.
La présente déclaration d'infection ne pourra être levée que lorsqu'il se sera écoulé un délai de quinze jours depuis la guérison du dernier animal atteint et après l'accomplissement, sous la surveillance de l'autorité locale, de toutes les prescriptions relatives à la désinfection.
Agents désinfectants :
1° Le lait de chaux préparé au moment de l'emploi avec de la chaux vive, dans la proportion de 10 % ;
2° Crésol du commerce en solution alcaline additionnée d'eau à raison de 3 %".
Le second a dû connaître semblable blancheur. Il date du 23 mai 1960. Il dit :
"Nous, Préfet de la Haute-Garonne, Officier de la Légion d'Honneur, vu notre arrêté portant déclaration d'infection pour cause de Fièvre Aphteuse des locaux, cours, herbages et pâturages dépendant de la propriété de M. FAURE à BUZET sur TARN, ainsi que les animaux parmi lesquels cette maladie a été constatée ;
Arrêtons :
Est levée la déclaration d'infection prononcée par notre arrêté du 22 avril 1960."
Je revois les étables blanchies à la chaux, où nichent quand même des hirondelles, dans des architectures parfaites. Elles sont fui nos tropiques et je ne serai pas étonné si elles se font de plus en plus rares, puis qu'elles disparaissent à jamais.
La vache est folle ; le poulet est grippé ; le mouton, tremblant ; le lapin a les yeux rouges. Quand on a peur de la grenouille, il faut aller voir la grenouille, et au besoin, en manger les cuisses. Pour désamorcer toutes ces angoisses, je vous livre une recette : mangez-donc un couscous quatre viandes. Vous multipliez ainsi les chances de vos risques. Parce que, on l'oublie trop souvent, un risque reste un risque mais à des chances de ne pas se laisser prendre...
La vieille 203.
Le nouveau propriétaire de notre ancienne maison, Emile Jurétig, ancien garagiste à Toulouse, a donné à mon père la carcasse d'une vieille "203", pour qu'il s'en serve comme abri pour les poules. Pour celles qui seraient malades en voiture, il a construit un petit poulailler de briques et de broc, avec des matériaux de deuxième main.
Le vieux tracteur "Renault R 3042".
Le décrire me donne à l'avance de la joie. On l'avait cédé à mon père pour une pincée d'avoine ou de blé tendre, pour qu'il n'ait plus à crier "hue" et "oh" aux attelages. Il lui avait trouvé une toute petite place, dans un coin du garage de la Maison Neuve.
C'était un gros jouet orange, comme on en voit maintenant reproduits sous film plastique chez les marchands de journaux. Il avait fière allure.
Il était moins élégant qu'un "Soméca", plus massif qu'un "Pony". Le siège était d'un confort spartiate, et les commandes bien ostensibles : axes et segments durs et droits du volant, du frein, de l'accélérateur.
Mais c'est surtout sur le toit que fourmillaient les détails. Le bouchon du radiateur couronnait une calandre grillagée comme une cage à lapins. Un gros champignon non comestible devait sans doute aider à la carburation. Devant le volant, une trappe qui fermait mal trahissait la présence d'une sorte de malle à outils. Ce dont je me souviens surtout, c'est d'une plaque noire verticale, rivetée là, où se découpait un énorme "D" peint en blanc. Dérisoire mise en garde que ce pauvre "D" de danger, que personne ne devait voir sans aucun doute, ancêtre du girophare qui équipe aujourd'hui les engins agricoles. Où était le danger ? Quel était le danger ? Cette plaque, c'était un peu comme un couteau sans manche auquel on a supprimé la lame.
Les flancs de l'impressionnant moteur étaient protégés par des carters ajourés, qui donnaient à l'ensemble un habillage harmonieux.
Enfin, outre le système de relevage arrière, qui m'a longtemps intrigué, le "nez" était constitué par un gros contrepoids de béton, et aux deux extrêmités d'une tige, les "yeux" des phares ne brillaient plus que d'un pâle éclat.
Sur la fin de sa carrière, le brave "Renault type R 3042" s'était récyclé, sur décision de mon père, en objet multi-usages : le contrepoids de béton servait de desserte pour les cagettes de pommes de terre mises à germer ; la tige des phares faisait office de patère, où mon paternel entassait ses ficelles à tomates, ses raphias, un vieux tuyau à siphonner l'essence...
Le tracteur, dégagé de ses obligations domestiques, sert encore dans des occasions qui deviennent rares. Au relevage, on goupille une charrue, ou une décavaillonneuse, et on file à la vigne aérer le sol. Il reste quelques rangées d'un cépage sans distinction, suffisant à produire une piquette maison, pas plus de 10 degrés, 11 les années de bon soleil.
A sa vigne, mon père retrouve son ami d'enfance, Raymond Fabre, dans la sienne. Toutes les deux se touchent. Ils taillent une bavette...
(A suivre)
Joël Fauré