31 août 2007
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A la mémoire de Raymond Fabre.
Il me manque. Mais vraiment.
Raymond Fabre, sa vigne, son oeuvre.
Après lui, il n'y aura presque plus de vigne ni de vigneron à Buzet-la-Forêt. Raymond Fabre garde le secret de ses bonnes feuilles, cépages et carnets à souche.
Passés les saints de glace (Saint-Gervais, Saint-Mamert et Saint-Pancrace, vénérés à la mi-mai), Raymond poussera un "ouf" de soulagement : les gelées tardives ne mettront pas à mal ses vignes. Pour l'essentiel, il ne restera plus qu'à tenir prête la parade à toute velléité symptomatique : l'oïdium, le black-rot, l'effervescence dorée (un insecte qui suce la sève), et le mildiou, cette maladie qui ressemble au juron que l'on pousse quand on la voit.
Vers 1870, on a dû en pousser pas mal. Le phylloxéra faisait des ravages ; c'est de cette époque que date l'introduction en France de plants américains, plus résistants aux pucerons.
Possessive, la vigne l'est. Elle réclame des prévenances de tous les instants. Son thème est porteur, fédérateur ; sa symbolique forte. On l'a souvent vue dessinée dans les manuels scolaires, chapeautant les paragraphes de leçons de choses, représentées en images changeantes, blanches, vertes, bleues, rousses, au gré des quatre saisons.
Raymond embrasse l'air d'un geste auguste. A mon père, il dit : "Il en reste 90 ares ici, et 30 là-bas". D'un côté, la ceinture argentée du ruisseau "Palmola", de l'autre un poirier tordu et sans âge sont les gardiens attentifs mais impuissants d'un monde qui s'en va. "Autrefois, il y en avait trois ou quatre fois plus". Au hameau des "Luquets", la pétarade de la pétrolette a souvent emporté Raymond jusques en ses terres. Il est vrai qu'elles réclament des assiduités et des soins réguliers. Il évoque le temps où il se mit en tête de mettre en terre des greffons : c'était juste après le rigoureux hiver 1956.
Le père de Raymond, Paul, escaladait les marches du chai et les degrés de la cave, tandis que sa femme, Jeanne, avisée que des gens s'étaient taillés en vigne, confectionnait de succulentes croquettes pour restaurer, à midi, les agapes des grappes. Mon père n'était pas le dernier à se mettre à table : c'étaient les vendanges.
C'étaient les vendanges après la taille et les trois traitements sytémiques de Printemps. Quelques grappes muscates, perlées de la rosée de Vendémiaire, se laissaient oublier par des distraits, se voulant promises à une grive musicienne ou une tourde. Et les muscats, en habits de gala, rougissaient et suaient sous le pelotage obscène de vendangeuses castratrices.
Raymond se souvient et a gardé sa passion. Pense-t-il aux Dames-Jeanne et aux bouteilles de plastique "made in CEE" en tête des gondoles dans les supermarchés ?
Abonné au "Chasseur Français", comme l'était déjà son père, il s'informe de l'air du temps et des gammes de nouveaux brabants. Il me demande quelquefois ce que je suis en train de gribouiller. Pour mon père, il sait...
Il taille les pampres pour que mûrissent les jolies baies, et que grappillent ses petits-enfants. Il faut en profiter. Ses vignes sont promises, à plus ou moins longue échéance, à l'arrachage.
Pour s'en souvenir, il ne restera pas grand chose, sinon que de collecter des vignes en vignettes gommées, en rangées millimétrées, dans les albums des veux métiers.
Marcou, Poulitou, Mauriçou et Fabrou.
Ils étaient classards du "Fernand" des "Rouquiès" dans les années 20... Marcou, "que vouliou fa tutou" (qui voulait "faire" instituteur) ; Politou, "que disio : "a l'escolo, le tchoul me trambolo, à l'oustal, le tchoul me fa mal" (A l'école, le cul tremble, à la maison, il me fait mal) ; Fabrou, "que disio : me cal ana pouda" (Il faut que j'aille tailler la vigne.) Et encore l'Emile, qui avait compris qu'un seul "macarel" ne suffisait pas à exorciser les désagréments, et s'exclamait, en lot promotionnel : "Quaranto macarel" (Quarante "macarel"). Et enfin, dans tout ça, tous réunis en choeur clonaient Dieu à la puissance mille...
Mon père s'exprimait le plus souvent dans son patois. Du français, il disait : "Je l'escaraougne". Sur la fin de sa vie, il ne trouvait plus ses semblables patoisants que dans un rayon de dix kilomètres, et se délectait de la rubrique dominicale "Catinou et Jacouti" de Charles Mouly, dans "La Dépêche du Midi". Aujourd'hui, la "Catinou" et le "Jacouti" n'intéressent plus qu'un public restreint. Ils ont déserté les colonnes de "La Dépêche du Dimanche". Le gros de la troupe repose au cimetière.
(A suivre)
Joël Fauré
-----
Brèves:
Immatriculées conceptions.
A cause des toc de relecture, je lis peu mais je lis fort. Je n'envie pas les stakhanovistes de la lecture qui sont contraints de balayer, parcourir, survoler, suivre du doigt, lire entre les lignes, en diagonale ou pas du tout les quelque 700 livres, parallélépipèdes "dépôtlégalisés", qui sortent pour cette rentrée littéraire...
Je m'amuse à comparer ce qui me tombe sous les yeux, depuis que j'ai décidé que ma vie ne serait que repérages et hasards ; ainsi, je me demande ce qui va bien rester ; je vois tel organe défendre telle publication, tels lauriers destinés à celle-ci ou celui-là... Quelle comédie !
Aimez-vous Claudel ?
J'en ai parlé à Camille C., et elle est tombée d'accord avec moi : Claudel est un grand homme de lettres. On peut ici vraiment parler d'un ECRIVAIN. Etat de grâce, profession de foi, style admirable, fidélité à des convictions ; P. Claudel m'a converti à la religion. Il montre dans ses drames, avec un réalisme saisissant, les aspects et les couleurs les plus âpres de l'âme...
Oui, je peux vraiment parler d'une "rencontre" avec un auteur.
Merci, Philippe.
JF
Il me manque. Mais vraiment.
Raymond Fabre, sa vigne, son oeuvre.
Après lui, il n'y aura presque plus de vigne ni de vigneron à Buzet-la-Forêt. Raymond Fabre garde le secret de ses bonnes feuilles, cépages et carnets à souche.
Passés les saints de glace (Saint-Gervais, Saint-Mamert et Saint-Pancrace, vénérés à la mi-mai), Raymond poussera un "ouf" de soulagement : les gelées tardives ne mettront pas à mal ses vignes. Pour l'essentiel, il ne restera plus qu'à tenir prête la parade à toute velléité symptomatique : l'oïdium, le black-rot, l'effervescence dorée (un insecte qui suce la sève), et le mildiou, cette maladie qui ressemble au juron que l'on pousse quand on la voit.
Vers 1870, on a dû en pousser pas mal. Le phylloxéra faisait des ravages ; c'est de cette époque que date l'introduction en France de plants américains, plus résistants aux pucerons.
Possessive, la vigne l'est. Elle réclame des prévenances de tous les instants. Son thème est porteur, fédérateur ; sa symbolique forte. On l'a souvent vue dessinée dans les manuels scolaires, chapeautant les paragraphes de leçons de choses, représentées en images changeantes, blanches, vertes, bleues, rousses, au gré des quatre saisons.
Raymond embrasse l'air d'un geste auguste. A mon père, il dit : "Il en reste 90 ares ici, et 30 là-bas". D'un côté, la ceinture argentée du ruisseau "Palmola", de l'autre un poirier tordu et sans âge sont les gardiens attentifs mais impuissants d'un monde qui s'en va. "Autrefois, il y en avait trois ou quatre fois plus". Au hameau des "Luquets", la pétarade de la pétrolette a souvent emporté Raymond jusques en ses terres. Il est vrai qu'elles réclament des assiduités et des soins réguliers. Il évoque le temps où il se mit en tête de mettre en terre des greffons : c'était juste après le rigoureux hiver 1956.
Le père de Raymond, Paul, escaladait les marches du chai et les degrés de la cave, tandis que sa femme, Jeanne, avisée que des gens s'étaient taillés en vigne, confectionnait de succulentes croquettes pour restaurer, à midi, les agapes des grappes. Mon père n'était pas le dernier à se mettre à table : c'étaient les vendanges.
C'étaient les vendanges après la taille et les trois traitements sytémiques de Printemps. Quelques grappes muscates, perlées de la rosée de Vendémiaire, se laissaient oublier par des distraits, se voulant promises à une grive musicienne ou une tourde. Et les muscats, en habits de gala, rougissaient et suaient sous le pelotage obscène de vendangeuses castratrices.
Raymond se souvient et a gardé sa passion. Pense-t-il aux Dames-Jeanne et aux bouteilles de plastique "made in CEE" en tête des gondoles dans les supermarchés ?
Abonné au "Chasseur Français", comme l'était déjà son père, il s'informe de l'air du temps et des gammes de nouveaux brabants. Il me demande quelquefois ce que je suis en train de gribouiller. Pour mon père, il sait...
Il taille les pampres pour que mûrissent les jolies baies, et que grappillent ses petits-enfants. Il faut en profiter. Ses vignes sont promises, à plus ou moins longue échéance, à l'arrachage.
Pour s'en souvenir, il ne restera pas grand chose, sinon que de collecter des vignes en vignettes gommées, en rangées millimétrées, dans les albums des veux métiers.
Marcou, Poulitou, Mauriçou et Fabrou.
Ils étaient classards du "Fernand" des "Rouquiès" dans les années 20... Marcou, "que vouliou fa tutou" (qui voulait "faire" instituteur) ; Politou, "que disio : "a l'escolo, le tchoul me trambolo, à l'oustal, le tchoul me fa mal" (A l'école, le cul tremble, à la maison, il me fait mal) ; Fabrou, "que disio : me cal ana pouda" (Il faut que j'aille tailler la vigne.) Et encore l'Emile, qui avait compris qu'un seul "macarel" ne suffisait pas à exorciser les désagréments, et s'exclamait, en lot promotionnel : "Quaranto macarel" (Quarante "macarel"). Et enfin, dans tout ça, tous réunis en choeur clonaient Dieu à la puissance mille...
Mon père s'exprimait le plus souvent dans son patois. Du français, il disait : "Je l'escaraougne". Sur la fin de sa vie, il ne trouvait plus ses semblables patoisants que dans un rayon de dix kilomètres, et se délectait de la rubrique dominicale "Catinou et Jacouti" de Charles Mouly, dans "La Dépêche du Midi". Aujourd'hui, la "Catinou" et le "Jacouti" n'intéressent plus qu'un public restreint. Ils ont déserté les colonnes de "La Dépêche du Dimanche". Le gros de la troupe repose au cimetière.
(A suivre)
Joël Fauré
-----
Brèves:
Immatriculées conceptions.
A cause des toc de relecture, je lis peu mais je lis fort. Je n'envie pas les stakhanovistes de la lecture qui sont contraints de balayer, parcourir, survoler, suivre du doigt, lire entre les lignes, en diagonale ou pas du tout les quelque 700 livres, parallélépipèdes "dépôtlégalisés", qui sortent pour cette rentrée littéraire...
Je m'amuse à comparer ce qui me tombe sous les yeux, depuis que j'ai décidé que ma vie ne serait que repérages et hasards ; ainsi, je me demande ce qui va bien rester ; je vois tel organe défendre telle publication, tels lauriers destinés à celle-ci ou celui-là... Quelle comédie !
Aimez-vous Claudel ?
J'en ai parlé à Camille C., et elle est tombée d'accord avec moi : Claudel est un grand homme de lettres. On peut ici vraiment parler d'un ECRIVAIN. Etat de grâce, profession de foi, style admirable, fidélité à des convictions ; P. Claudel m'a converti à la religion. Il montre dans ses drames, avec un réalisme saisissant, les aspects et les couleurs les plus âpres de l'âme...
Oui, je peux vraiment parler d'une "rencontre" avec un auteur.
Merci, Philippe.
JF