1 septembre 2007 6 01 /09 /septembre /2007 12:03
A sept heures du soir, les persiennes fermées, la targette tirée, l'horizon verrouillé.
Ce n'était pas des ours dont mon père avait peur, puisqu'il en était, mais des loups, ou de ceux qui voulaient y ressembler.
Il ne me restait plus, alors que la chambre du fond, celle de mes parents, s'était refermée comme un sanctuaire, qu'à m'inventer des affinités avec le hasard. Chacun a les alcools, les lacs, les mers, les manèges qu'il peut... Vivre est artifice.
Il restait la télé noire et blanche. Avec un peu de chance, les premiers ronflements de mon père débutaient avant le générique d' Apostrophes. Je pouvais ainsi m'échapper et Bernard Pivot m'accueillait sur son plateau, où je me faisais petit comme une souris, écoutant les grands diseurs, à l'affût d'un mot inconnnu, que je notais soigneusement, pour mieux m'en imprégner, sur la page ouverte du jour, dans Télé 7 Jours.
Bien mieux encore, il restait la radio en couleurs. Dès vingt-deux heures, glissé sous les draps, quatre tops s'égrenaient sur France Inter, et je crois que tous les "José" du monde se retrouvaient en syndicat : José Sétien et José Artur. Ses actualités assenées, José Sétien disait : "Je sous laisse maintenant en compagnie du Pop-Club, avec José Artur." Et José enchaînait : "Merci, José Sétien". Et les Parisiennes chantaient sur une mélodie délicieusement jazzy : "24 heures sur 24, la vie serait bien dure, si l'on n'avait pas le Pop-Club, avec José Artur". Alangui sur ma couche, mon imagination me transportait d'une seule attelée Buzet-la-Forêt / Paris, via l'appentis de tôle adossé au poulailler, la carcasse de la vieille "203", le crib où séchait le maïs, deux chênes magnifiques, et une échappée belle sur la campagne herbeuse... jusqu'à ce que mon père rompe l'harmonie, en se levant pour pisser. Nuitamment, il "faisait" dedans...

"Allo, les Rouquiès ? Ici Paris"
C'est juste après le déluge et le partage de la Mer Rouge que la famille s'abonna au "Pèlerin". Les informations, filtrées comme du petit lait, se laissaient lire sans choc. C'est juste si les planches dessinées de "Pat'apouf" le détective accordaient quelques audaces à ses aventures. "La lettre du balayeur" s'essayait au politiquement correct, mais chacun sait bien que religion et politique, bien qu'elles se fussent retrouvées sur les chemins des croisades et des guerres, ne font pas bon ménage.
Mon père ramenait parfois trimphalement "Marius, l'épatant", imprimé sur papier rose, où dessins et textes rendaient rose aussi.
Mais le feu d'artifice, l'assurance qu'il existait une autre vie, plus loin, sur une autre planète, pleine de joies, d'éclats, de paillettes, de transgressions et de scandales, c'était dans "Ici Paris" que nous l'avions.
Vous pensez que si j'avais appelé les gens de le rédaction d'Ici-Paris, et que je leur avais dit que la seule grande joie de mon père, c'était de savoir que Tino Rossi avait du succès auprès des femmes, "ils" lui auraient offert un abonnement gratuit de trois mois ?

C'est un petit carnet jauni à très petits carreaux de format 13 cm par 8 cm. La couverture, qui avait dû être cartonnée, manque à l'appel. Je compte 34 feuillets. Il pèse 22 grammes. Si on devait le confier à l'acheminement postal aujourd'hui, il en coûterait 82 centimes d'euros. Du reste, je ne vois pas à qui je pourrai bien l'envoyer. Il est si personnel. Il a appartenu à mon père. C'est à ma connaissance l'unique littérature qu'il ait jamais produite. Il a été rempli en 1943, alors que mon père accomplissait un "petite foyach soufenir" en Allemagne, à l'invitation de la compagnie STO. L'historien y trouvera bon nombre de chansons de salle de garde, de comiques troupiers, que mon père a soigneusement recopiées ; plus émouvant, un texte très personnel sur "le bombardement de Cologne dans la nuit du samedi 3 au dimanche 4 juin 1943", et beaucoup plus surprenant encore, ce texte savoureux et torride, que je ne peux m'empêcher de vous livrer, fautes d'orthographes comprises :

la façon de mettre une jeune fille en chaleur quand vous parlez a une jeune fille et que vous avez l'intention de la baiser voici comment il faut s'y prendre autrement dit pour la mettre en chaleur
Devellopement
il faut que vous sortiez au moin troi fois avec elle la premiere foi vous lui demenderez de l'embraser ou vous le faites carremment sur la joue, si elle ne rouspette pas trop vous le faites sur le front, et rien que la car il ne faut pas aller trop loin il faut suivre le proverbe qui va dousement va longtemp
la deuxieme foi vous l'embrasser partout sur le coup ; derriere les oreilles a la naissance des cheveux puis vous risquez un baiser sur la bouche : si elle ne refuse pas vous recommencée en ayant soin de la serrer assez fort dans vos bras si elle se laisse faire c'est quelle vous aime alors vous lachez a egard votre main sur ses genoux le plus gros travail est fait - la troisième fois vous l'embrassez sur la bouche, il faut toujours commencer à l'embraser en introduisant votre langue dans sa bouche vous choisissez le moment ou elle se penche dans vos bras pour mettre votre main sous ses jupons et lui toucher les cuisses pui doucement vous montez et vous faites des pressions dans ses poils et vous operez un mouvemen tournan et ayant soin de presser un peu quelques minutes après vous lui mettez le doigt dans la fente pour lui chatouiller le bouton jusqu'a ce quelle jouisse "vous dechager dans les main. vous lui demendez ensuite si elle veut vous laisser mettre votre V... dans son C... sur le moment elle vous dira peut etre que non, alors vous la carressez de nouveaux de la meme façon pour qu'elle ne puise plus se retenir : vous lui ecartez les jambes vous vous couchez sur elle le plus pres possible de maniere a bien la serrer. vous attendez dans settes position jusqua ce que vous décarger san execute le va et viens habituel. si elle décharge en meme temps que vous cest dangreux car elle ouvre la soupape et votre sperme peut entre dans la chambre ce qui peut occasionner la venue d un enfean c'est tres enbetant des sortes de chosse si elle decharge apres et bien il ni a pas trop de risque et vous pouvez recommences une autres fois sans crainte   voila à mon avis le vrai moyen pour mettre une jeune fille en chaleur et lai toucher comme il faut sest le vrai et parfai moyen
amour de baiser = Fin
fait en allemangne le v 25 juin 1973 en un moment de repos

(A suivre.)

Joël Fauré

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commentaires

J
Aurora : J'attribue les beaux dégâts à l'incommunicabilité qui a verrouillé le dialogue avec les miens, et à la grande solitude devant "les choses du sexe"... De la fascination / répulsion vis à vis du fétichisme et du SM sont nés le refoulement et l'angoisse. <br /> Ce n'est que grâce à l'oeuvre du temps que je peux aujourd'hui porter un regard plus apaisé sur ce qui reste un "piment" sexuel.<br /> J'avais aimé une analyse de vous Aurora, que j'avais notée et que je viens de retrouver :<br /> "Il n'est pas facile d'avoir une sexualité en décalage avec celle du plus grand nombre. Etre en décalage complet chez les siens, en plus, c'est terrible !" (Octobre 2005)<br /> Amitiés.
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A
"Sexualités alternatives"="des beaux dégats"...<br /> ????<br /> Oh! non, pas vous... S'il vous plaît!
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J
Camille : Ce texte est touchant et criant de vérité, si essentielle... Hélas, je l'ai découvert trop tard.. L'ignorance, la frustration ont fait de beaux dégâts... et généré ces sexualités "alternatives" (fétichisme, bdsm, sm...) qui expliquent ma présence ici, sur ce blog... <br /> Mais bon, assumons... "Raconter est un remède sûr" reprend Philippe Claudel dans "le rapport de Brodeck) -La phrase est de Primo lévi-. Merci Camille, pour ce sacré coquin de Fernand !
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C
C'est mon passage préféré tant il m'amuse et m'émeut aussi. "De la manière rustique, rapide, efficace, infaillible et contraceptive de faire l'amour à une fille," par Fernand Fauré. Joël, hum hum, avez-vous pu vérifier ce mode d'emploi ? Réponse non obligée... Camille C.
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