5 septembre 2007
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1967. J'ai cinq ans et mon père quarante de plus.
J'ai cinq ans et je ne veux pas mourir.
J'ai cinq ans et je ne m'ai pas tuer.
J'ai cinq ans et Omar ne m'a pas tuer.
J'ai cinq ans et je ne me souviens de rien. Tant mieux.
J'ai cinq ans.
Donnez-moi la promesse d'un air pur, d'un vent filtré par la forêt, à l'angle de la maison ;
ramenez-moi à l'endroit précis, près de la porte du garage, où je sautais , petit mais assez haut, comme un acrobate, pour me prouver que je pouvais plier les jambes ; permettez-moi de m'enivrer de la bonne odeur de résine mouillée, sur les sapins, après la pluie ;
faites-moi sous-entendre qu'il existe une guérison possible à mon mal d'enfance ;
refaites-moi entendre le chant des rainettes, une nuit d'été...
Donnez-moi des jardins et laissez-moi faire des châteaux...
Laissez-moi enfiler des bottes Baudou, et sortir, sous la pluie, près de la forêt, dans les beaux ares, saluer les seuls amis qui me restent : le pâturin annuel, l'agrostide, le dactyle, la fétuque rouge, la phléole, le vulpin, la flouve odorante, celle qui parfume le foin.
Droit dans mes bottes, les yeux au ciel, je suis le fils de mon père éternel.
Les poules.
Je pensais qu'il n'y avait que mon père qui disait : "Si tu me cherches, je suis aux poules", ce qui, il faut bien l'admettre, porte à confusion. Ou bien encore : "Je vais donner aux poules", ce qui, il faut bien le confesser, peut mettre à mal les revenus de la famille. Ou enfin : "Je vais fermer les poules", ce qui est, cette fois, tout à fait rassurant : clouer le bec à ces gallinacées pour les empêcher de caqueter pour un oui pour un non, ça promet des petits matins calmes, et c'est tout ce qu'elles méritent. A la campagne, on se couche avec les poules ; on se lève au chant du coq.
Or, je me trompais. Jules Renard m'a devancé. Et sans me prévenir a écrit dans "Poil de Carotte" ceci :
"- Je parie, dit madame Lepic, qu'Honorine a encore oublié de fermer les poules.
C'est vrai. On peut s'en assurer par la fenêtre. Là-bas, le petit toit aux poules découpe dans la nuit, le carré noir de sa porte ouverte."
Que Renard s'intéresse aux poules, rien de bien étonnant. C'est alimentaire. Mais qu'il décrive presque à s'y méprendre le poulailler de mon père, ça, ça m'épate.
C'est "Oh" qui s'accorde le droit d'aller fermer les poules. Le carré noir découpé dans la nuit devient tout blanc. La porte n'est pas celle qu'on attendrait en cet endroit. C'est une porte de la maison vieille, une petite porte fine d'intérieur toute blanche. Si vous êtes de ceux qui aiment aller sur les pas des auteurs (Ah ! Refaire la "promenade avec un âne dans les Cévennes" , de Robert-Louis Stevenson ; ah ! Marcher sur les pas de Brel aux îles Marquises ; ah ! Rentrer dans le moulin d'Alphonse Daudet...) ; si vous vous transportez sur les lieux, penchez-vous sur la blanche porte. Vous y percevrez une inscription qui s'efface sous l'effet du temps ; -alors, dépêchez-vous- une inscription au crayon tendre qui dit dans un encadré : "Barrière fermée pendant quinze jours"
Quelle est la signification de ce sibyllin message ? Je n'en sais strictement rien. Pourtant, je devrais puisque, je me souviens, c'était au début de quelques vacances, alors plus désoeuvré, alors plus esseulé, c'est moi qui l'ai écrit. J'ai beau interroger mon inconscient, il ne daigne pas m'avancer la moindre interprétation.
(A suivre.)
Joël Fauré
J'ai cinq ans et je ne veux pas mourir.
J'ai cinq ans et je ne m'ai pas tuer.
J'ai cinq ans et Omar ne m'a pas tuer.
J'ai cinq ans et je ne me souviens de rien. Tant mieux.
J'ai cinq ans.
Donnez-moi la promesse d'un air pur, d'un vent filtré par la forêt, à l'angle de la maison ;
ramenez-moi à l'endroit précis, près de la porte du garage, où je sautais , petit mais assez haut, comme un acrobate, pour me prouver que je pouvais plier les jambes ; permettez-moi de m'enivrer de la bonne odeur de résine mouillée, sur les sapins, après la pluie ;
faites-moi sous-entendre qu'il existe une guérison possible à mon mal d'enfance ;
refaites-moi entendre le chant des rainettes, une nuit d'été...
Donnez-moi des jardins et laissez-moi faire des châteaux...
Laissez-moi enfiler des bottes Baudou, et sortir, sous la pluie, près de la forêt, dans les beaux ares, saluer les seuls amis qui me restent : le pâturin annuel, l'agrostide, le dactyle, la fétuque rouge, la phléole, le vulpin, la flouve odorante, celle qui parfume le foin.
Droit dans mes bottes, les yeux au ciel, je suis le fils de mon père éternel.
Les poules.
Je pensais qu'il n'y avait que mon père qui disait : "Si tu me cherches, je suis aux poules", ce qui, il faut bien l'admettre, porte à confusion. Ou bien encore : "Je vais donner aux poules", ce qui, il faut bien le confesser, peut mettre à mal les revenus de la famille. Ou enfin : "Je vais fermer les poules", ce qui est, cette fois, tout à fait rassurant : clouer le bec à ces gallinacées pour les empêcher de caqueter pour un oui pour un non, ça promet des petits matins calmes, et c'est tout ce qu'elles méritent. A la campagne, on se couche avec les poules ; on se lève au chant du coq.
Or, je me trompais. Jules Renard m'a devancé. Et sans me prévenir a écrit dans "Poil de Carotte" ceci :
"- Je parie, dit madame Lepic, qu'Honorine a encore oublié de fermer les poules.
C'est vrai. On peut s'en assurer par la fenêtre. Là-bas, le petit toit aux poules découpe dans la nuit, le carré noir de sa porte ouverte."
Que Renard s'intéresse aux poules, rien de bien étonnant. C'est alimentaire. Mais qu'il décrive presque à s'y méprendre le poulailler de mon père, ça, ça m'épate.
C'est "Oh" qui s'accorde le droit d'aller fermer les poules. Le carré noir découpé dans la nuit devient tout blanc. La porte n'est pas celle qu'on attendrait en cet endroit. C'est une porte de la maison vieille, une petite porte fine d'intérieur toute blanche. Si vous êtes de ceux qui aiment aller sur les pas des auteurs (Ah ! Refaire la "promenade avec un âne dans les Cévennes" , de Robert-Louis Stevenson ; ah ! Marcher sur les pas de Brel aux îles Marquises ; ah ! Rentrer dans le moulin d'Alphonse Daudet...) ; si vous vous transportez sur les lieux, penchez-vous sur la blanche porte. Vous y percevrez une inscription qui s'efface sous l'effet du temps ; -alors, dépêchez-vous- une inscription au crayon tendre qui dit dans un encadré : "Barrière fermée pendant quinze jours"
Quelle est la signification de ce sibyllin message ? Je n'en sais strictement rien. Pourtant, je devrais puisque, je me souviens, c'était au début de quelques vacances, alors plus désoeuvré, alors plus esseulé, c'est moi qui l'ai écrit. J'ai beau interroger mon inconscient, il ne daigne pas m'avancer la moindre interprétation.
(A suivre.)
Joël Fauré