6 septembre 2007
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Mon père, second couteau.
Mon père, ce n'est pas avec un couteau qu'il cale la nourriture sur la fourchette, mais avec un morceau de pain. Du bon pain de boulanger, ou, qui sait, du Bon Dieu ? Non, le couteau, il le réserve pour venir à bout des grosses ficelles qui entravent le scénario de sa vie. Son couteau, au fond de la poche, c'est un opinel.
A ce propos, je vais mantenant vous dévoiler le secret de la naissance du fameux couteau Laguiole (Il faut prononcer "Layole"). Vous ne l'avez lu nulle part. Promettez-moi de ne pas ébruiter ce que je vais vous dire.
Un jour, alors que mon père taillait des gourmands de vigne, une abeille est venue se poser entre le manche et la lame du couteau. Mon père, sur les supplications de mon aveyronnaise de maman, laissa une chance à la butineuse. Elle se plut en cet endroit et y resta. Jusqu'à la fin des temps. Voilà pourquoi, mesdames et messieurs, on trouve sur les fameux couteaux Laguiole une abeille stylisée : parce que mon père a épousé une aveyronnaise !
Mon père aimait aller dans l'Aveyron, dans la famille de son épouse. Il regardait sans déplaisir grandir les étables, les petits neveux et les brebis, et se délectait des tomes de Roquefort qu'on ramenait à pleines malles. Opinel et Laguiole réunis se chargeaient de la coupe.
Aujourd'hui, "ils" te le font payer au prix fort, le Roquefort, Appellation d'Origine Contrôlée ; une langue de chat, un brin de persil et un grain de raisin. C'est fou. Comme vous avez changé Monsieur le Monde.
Prenez-en de la graine.
S'il ne remue pas le ciel, car il y a trop de risques à déranger ses occupants, "Oh" remue la terre, gaillardement. Grand faiseur de rangs d'oignons, authentique rôteur d'ail, c'est aussi un grand bêcheur. Il invente des planches de mottes retournées, que ne renierait pas un peintre cubiste. A la terre bien grasse, parfumée, il fait faire des cabrioles et des pirouettes, mais il n'amuse pas du tout la galerie quand un lombric perd ses anneaux à cause d'un mauvais lancer de bêche. Le spectacle doit quand même continuer. "Rassurez-vous mesdames et messieurs, le ver solitaire qui vient d'être coupé en deux l'a bien cherché. Le spectacle continue."
La terre est émottée, ratissée puis, avec une finesse presque lascive, elle se laisse griffer le dos, tracer un sillon bien droit suivant un cordeau. Et c'est alors là, dans la raie, que la petite graine est déposée.
Des petites graines, mon père en a beaucoup. Il en met partout. Il les conserve dans des boîtes, et des boîtes, et des boîtes, et des boîtes encore. Des rondes. Des carrées. Des oblongues. En carton. En fer blanc. C'est merveilleux, une boîte. C'est mystérieux, une boîte. Surtout quand elle est fermée.
"Rustica", le magazine de la campagne.
Dans "Rustica" numéro 1908 (semaine du 19 au 25 juillet 2006), page 18, j'ai lu avec émotion ces quelques lignes qui m'ont rappelé deux choses : le souvenir de mon père et quelques larmes de mélancolie : "Si vous souhaitez conserver vos graines longtemps, la meilleure solution est de les placer dans un carré de papier de soie, à glisser dans des sachets en papier. (les enveloppes de vos courriers font l'affaire.)"
Oui, j'ai vraiment pensé très fort à mon vieux père, qui repose en son jardin, et puis aussi à toutes ces enveloppes que j'ai gardées. Il y en a plein que je n'ai même pas ouvertes. C'est pas la peine. C'est plus la peine. Il y a beaucoup trop de mauvaise graine maintenant.
Mon père, il n'avait pas besoin de lire "Rustica". C'était la rédaction de "Rustica" à lui tout seul.
C'est déjà pas si mal.
(A suivre.)
Joël Fauré
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Mon père, ce n'est pas avec un couteau qu'il cale la nourriture sur la fourchette, mais avec un morceau de pain. Du bon pain de boulanger, ou, qui sait, du Bon Dieu ? Non, le couteau, il le réserve pour venir à bout des grosses ficelles qui entravent le scénario de sa vie. Son couteau, au fond de la poche, c'est un opinel.
A ce propos, je vais mantenant vous dévoiler le secret de la naissance du fameux couteau Laguiole (Il faut prononcer "Layole"). Vous ne l'avez lu nulle part. Promettez-moi de ne pas ébruiter ce que je vais vous dire.
Un jour, alors que mon père taillait des gourmands de vigne, une abeille est venue se poser entre le manche et la lame du couteau. Mon père, sur les supplications de mon aveyronnaise de maman, laissa une chance à la butineuse. Elle se plut en cet endroit et y resta. Jusqu'à la fin des temps. Voilà pourquoi, mesdames et messieurs, on trouve sur les fameux couteaux Laguiole une abeille stylisée : parce que mon père a épousé une aveyronnaise !
Mon père aimait aller dans l'Aveyron, dans la famille de son épouse. Il regardait sans déplaisir grandir les étables, les petits neveux et les brebis, et se délectait des tomes de Roquefort qu'on ramenait à pleines malles. Opinel et Laguiole réunis se chargeaient de la coupe.
Aujourd'hui, "ils" te le font payer au prix fort, le Roquefort, Appellation d'Origine Contrôlée ; une langue de chat, un brin de persil et un grain de raisin. C'est fou. Comme vous avez changé Monsieur le Monde.
Prenez-en de la graine.
S'il ne remue pas le ciel, car il y a trop de risques à déranger ses occupants, "Oh" remue la terre, gaillardement. Grand faiseur de rangs d'oignons, authentique rôteur d'ail, c'est aussi un grand bêcheur. Il invente des planches de mottes retournées, que ne renierait pas un peintre cubiste. A la terre bien grasse, parfumée, il fait faire des cabrioles et des pirouettes, mais il n'amuse pas du tout la galerie quand un lombric perd ses anneaux à cause d'un mauvais lancer de bêche. Le spectacle doit quand même continuer. "Rassurez-vous mesdames et messieurs, le ver solitaire qui vient d'être coupé en deux l'a bien cherché. Le spectacle continue."
La terre est émottée, ratissée puis, avec une finesse presque lascive, elle se laisse griffer le dos, tracer un sillon bien droit suivant un cordeau. Et c'est alors là, dans la raie, que la petite graine est déposée.
Des petites graines, mon père en a beaucoup. Il en met partout. Il les conserve dans des boîtes, et des boîtes, et des boîtes, et des boîtes encore. Des rondes. Des carrées. Des oblongues. En carton. En fer blanc. C'est merveilleux, une boîte. C'est mystérieux, une boîte. Surtout quand elle est fermée.
"Rustica", le magazine de la campagne.
Dans "Rustica" numéro 1908 (semaine du 19 au 25 juillet 2006), page 18, j'ai lu avec émotion ces quelques lignes qui m'ont rappelé deux choses : le souvenir de mon père et quelques larmes de mélancolie : "Si vous souhaitez conserver vos graines longtemps, la meilleure solution est de les placer dans un carré de papier de soie, à glisser dans des sachets en papier. (les enveloppes de vos courriers font l'affaire.)"
Oui, j'ai vraiment pensé très fort à mon vieux père, qui repose en son jardin, et puis aussi à toutes ces enveloppes que j'ai gardées. Il y en a plein que je n'ai même pas ouvertes. C'est pas la peine. C'est plus la peine. Il y a beaucoup trop de mauvaise graine maintenant.
Mon père, il n'avait pas besoin de lire "Rustica". C'était la rédaction de "Rustica" à lui tout seul.
C'est déjà pas si mal.
(A suivre.)
Joël Fauré
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BILLET D'HUMEUR
Pavarotti est mort.
UN TIMBRE RARE
Pavarotti est mort.
UN TIMBRE RARE
Que m'apprend la mort de Luciano Pavarotti, au petit matin, alors que tous les journaux sont imprimés ?
Ce simple jeu d'orgue phonétique ?
"Il est ténor mais m'embête.
Il est énorme et m'embête.
Il est énormément bête" ?
J'apprends, de la bouche même de France Inter que tous les ténors sont des idiots ou des imbéciles, sauf Pavarotti...
Je n'ai aucune culture "opéraesque", et des épaisseurs que furent Devos et lui, je connais mieux le premier. Sur l'épaisseur, elle s'explique ; Raymond Devos se gavait de charcuterie.
Sur Pavarotti, rien. Je ne sais rien.
"C'est un don et je le travaille. Tout vient du corps" dit Luciano à France Inter.
Et il est reparti le vieux discours sur l'inné et l'acquis. Darwin n'est pas loin, et la sélection naturelle, et "Turandot", et "Verdi"...
J'apprends que, contrairement aux castrats, Luciano Pavarotti a cultivé sa voix sur le tard.
Au lyrisme des chroniqueurs de demain, quand les rotatives seront encore froides, je souffle un titre : "Pavarotti (1935 - 2007) Un timbre rare."
JF
Ce simple jeu d'orgue phonétique ?
"Il est ténor mais m'embête.
Il est énorme et m'embête.
Il est énormément bête" ?
J'apprends, de la bouche même de France Inter que tous les ténors sont des idiots ou des imbéciles, sauf Pavarotti...
Je n'ai aucune culture "opéraesque", et des épaisseurs que furent Devos et lui, je connais mieux le premier. Sur l'épaisseur, elle s'explique ; Raymond Devos se gavait de charcuterie.
Sur Pavarotti, rien. Je ne sais rien.
"C'est un don et je le travaille. Tout vient du corps" dit Luciano à France Inter.
Et il est reparti le vieux discours sur l'inné et l'acquis. Darwin n'est pas loin, et la sélection naturelle, et "Turandot", et "Verdi"...
J'apprends que, contrairement aux castrats, Luciano Pavarotti a cultivé sa voix sur le tard.
Au lyrisme des chroniqueurs de demain, quand les rotatives seront encore froides, je souffle un titre : "Pavarotti (1935 - 2007) Un timbre rare."
JF