19 septembre 2007
3
19
/09
/septembre
/2007
20:29
Les bâtonnets lumineux de l'affichage digital...
fascinent "Oh". S'il est demeuré fidèle aux cadrans, avec ses aiguilles, sa trotteuse et ses chiffres romains (au fait, savez-vous pourquoi les montres sont toujours montrées sur les publicités à 10 heures 10 ? Non ? Réponse tout-à-l'heure) ; s'il est resté rétif aux changements d'heure deux fois par an ; s'il regrette d'avoir cédé pour trois centimes de vieilles horloges comtoises, il voue une béate admiration pour les sabliers modernes, petites bûchettes vertes ou rouges, entrecoupées de points palpitants. C'est un peu comme un jeu d'allumettes à déplacer, pour former l'idoine combinaison.
Combien de fois m'a-t-il demandé de remettre de l'ordre dans cette magie, qui n'était plus en accord avec le "19/20" de "France 3" ?
Le peu de temps qui vous était imparti s'est écoulé, pour notre grand jeu du temps qui passe.
Pourquoi les montres sont toujours montrées sur les publicités à l'écartement 10 heures 10 ?
C'est tout simplement pour mettre en valeur -et surtout éviter que les aiguilles ne la cache- la marque, frappée sous les douze coups de leur destin : "Pax, Jaz..." Oui, bon, je sais, ça vous fait un beau poignet...
Bulletin de santé.
Comme tous ceux qui se plaignent sans arrêt, mon père avait une assez bonne santé. A l'entendre, il tenait chronique régulière dans divers organes médicaux : les pieds, les mains, les genoux, et plus généralement toutes les articulations se rappelaient à son bon souvenir, sous forme de rhumatismes divers et variés. S'il n'avait pas la goutte au nez, il l'avait assurément aux pieds, et ses extrêmités de podagre en attestaient la vérité.
Il n'avait jamais donné d'instructions particulières à son corps pour le maintenir en forme. Il mangeait gras. Il a donc eu des maladies d'homme bien nourri. Il avait un bon coup de fourchette ; la tripaille solide. Aussi, lors du percement de son intestin, une stomie et la pose d'un anus artificiel, il traversa cette période avec l'efficacité d'un posage de buses tout-à-l'égoût pour une municipalité qui a les moyens.
Cet éternel inquiet aurait pu, avec cinquante ans de moins, devenir un excellent gibier de psychiatrie, mais il n'entrait pas dans sa culture d'aller dire à un docteur "qui ne touche rien" qu'il lui arrivait d'avoir des "idées noires". Dans ce domaine, il m'a laissé le soin d'agir à sa place.
Il a fumé. Du tabac. Puis il a arrêté. Puis il a repris. Puis il a arrêté. Puis il a arrêté d'arrêter -ce fut la période des gitanes maïs et des cigarillos- puis il a définitivement arrêté.
Ce peureux, ce pleutre, ce poltron savait aussi avoir des volontés. A un régime que lui avait prescrit son médecin, il s'est soumis sans restriction. Il était fier de dire qu'il ne salait plus rien, qu'il buvait de l'eau et ne mangeait pas de pain.
"Ca va péter"
Combien de fois ai-je entendu cette phrase-clef dans la bouche de mon père ? Les informations sur l'état du pays, du Monde, lui parvenaient par des canaux suffisamment clairs pour qu'il en mesure l'ampleur. Ou bien avait-il des antennes sous la casquette ? Il avait connu en direct la brutalité d'une guerre.
Je ne suis pas mécontent qu'il ait entendu parler des attentats terroristes. Lui qui a connu les affrontements de terrain, il a dû les trouver d'une grande trivialité.
Mon père était sans aucun doute raciste. Il n'aimait pas les allemands, qui lui avaient fait beaucoup de mal ; les arabes qui avaient envie de beaucoup lui en faire, les noirs, les jaunes, les témoins de Jehovah qui venaient lui prédire d'autres jardins jusque dans son propre jardin ; il disait qu'un jour prochain, si on laissait faire, un drapeau avec un croissant flotterait au fronton des édifices publics de la France ; il ne supportait pas les films américains ("Encore des coups de révolver"). Mais il ne se supportait pas lui-même. Et quand Roger Gicquel, à la télévision, lui donnait raison en disant, visage tragique : "La France a peur", il se contentait de renchérir : "Ca va péter".
"Avec deux croissants"
Les plus jeunes de nos lecteurs -je dis "nos" car c'est mon père qui me tient enfin la main- n'ont pas eu connaissance de ce sketch de Fernand Raynaud, "Les croissants", où il est question d'un serveur et d'un client qui s'entête à demander deux croissants en accompagnement de son café crème. Le comique repose sur un grossier malentendu : le serveur déclare qu'il n'y a plus de croissant ; le client, qui se veut arrangeant, lui répond que "ça fait rien, je prendrai autre chose, je suis pas un client embêtant... Je prendrai un thé ou un chocolat au lait... avec deux croissants..." etc...
"- Dis, mon papa, le drapeau, tu le veux comment ?
- Bleu, blanc rouge, et sans croissants.
- Ah, excuse-moi, il ne reste que des drapeaux avec des croissants.
- Et bé, ça fait rien, je prendrai autre chose... je sais pas, moi... un drapeau noir, jaune, rouge, et sans croissants.
- Je viens de te dire que c'est fini, les drapeaux sans croissants.
- Ne te met pas en colère. Je suis pas contrariant. Je prendrai ce que tu veux. Tiens, un drapeau vert, blanc, rouge, et sans croissants."
Etc...
(A suivre.)
Joël Fauré
fascinent "Oh". S'il est demeuré fidèle aux cadrans, avec ses aiguilles, sa trotteuse et ses chiffres romains (au fait, savez-vous pourquoi les montres sont toujours montrées sur les publicités à 10 heures 10 ? Non ? Réponse tout-à-l'heure) ; s'il est resté rétif aux changements d'heure deux fois par an ; s'il regrette d'avoir cédé pour trois centimes de vieilles horloges comtoises, il voue une béate admiration pour les sabliers modernes, petites bûchettes vertes ou rouges, entrecoupées de points palpitants. C'est un peu comme un jeu d'allumettes à déplacer, pour former l'idoine combinaison.
Combien de fois m'a-t-il demandé de remettre de l'ordre dans cette magie, qui n'était plus en accord avec le "19/20" de "France 3" ?
Le peu de temps qui vous était imparti s'est écoulé, pour notre grand jeu du temps qui passe.
Pourquoi les montres sont toujours montrées sur les publicités à l'écartement 10 heures 10 ?
C'est tout simplement pour mettre en valeur -et surtout éviter que les aiguilles ne la cache- la marque, frappée sous les douze coups de leur destin : "Pax, Jaz..." Oui, bon, je sais, ça vous fait un beau poignet...
Bulletin de santé.
Comme tous ceux qui se plaignent sans arrêt, mon père avait une assez bonne santé. A l'entendre, il tenait chronique régulière dans divers organes médicaux : les pieds, les mains, les genoux, et plus généralement toutes les articulations se rappelaient à son bon souvenir, sous forme de rhumatismes divers et variés. S'il n'avait pas la goutte au nez, il l'avait assurément aux pieds, et ses extrêmités de podagre en attestaient la vérité.
Il n'avait jamais donné d'instructions particulières à son corps pour le maintenir en forme. Il mangeait gras. Il a donc eu des maladies d'homme bien nourri. Il avait un bon coup de fourchette ; la tripaille solide. Aussi, lors du percement de son intestin, une stomie et la pose d'un anus artificiel, il traversa cette période avec l'efficacité d'un posage de buses tout-à-l'égoût pour une municipalité qui a les moyens.
Cet éternel inquiet aurait pu, avec cinquante ans de moins, devenir un excellent gibier de psychiatrie, mais il n'entrait pas dans sa culture d'aller dire à un docteur "qui ne touche rien" qu'il lui arrivait d'avoir des "idées noires". Dans ce domaine, il m'a laissé le soin d'agir à sa place.
Il a fumé. Du tabac. Puis il a arrêté. Puis il a repris. Puis il a arrêté. Puis il a arrêté d'arrêter -ce fut la période des gitanes maïs et des cigarillos- puis il a définitivement arrêté.
Ce peureux, ce pleutre, ce poltron savait aussi avoir des volontés. A un régime que lui avait prescrit son médecin, il s'est soumis sans restriction. Il était fier de dire qu'il ne salait plus rien, qu'il buvait de l'eau et ne mangeait pas de pain.
"Ca va péter"
Combien de fois ai-je entendu cette phrase-clef dans la bouche de mon père ? Les informations sur l'état du pays, du Monde, lui parvenaient par des canaux suffisamment clairs pour qu'il en mesure l'ampleur. Ou bien avait-il des antennes sous la casquette ? Il avait connu en direct la brutalité d'une guerre.
Je ne suis pas mécontent qu'il ait entendu parler des attentats terroristes. Lui qui a connu les affrontements de terrain, il a dû les trouver d'une grande trivialité.
Mon père était sans aucun doute raciste. Il n'aimait pas les allemands, qui lui avaient fait beaucoup de mal ; les arabes qui avaient envie de beaucoup lui en faire, les noirs, les jaunes, les témoins de Jehovah qui venaient lui prédire d'autres jardins jusque dans son propre jardin ; il disait qu'un jour prochain, si on laissait faire, un drapeau avec un croissant flotterait au fronton des édifices publics de la France ; il ne supportait pas les films américains ("Encore des coups de révolver"). Mais il ne se supportait pas lui-même. Et quand Roger Gicquel, à la télévision, lui donnait raison en disant, visage tragique : "La France a peur", il se contentait de renchérir : "Ca va péter".
"Avec deux croissants"
Les plus jeunes de nos lecteurs -je dis "nos" car c'est mon père qui me tient enfin la main- n'ont pas eu connaissance de ce sketch de Fernand Raynaud, "Les croissants", où il est question d'un serveur et d'un client qui s'entête à demander deux croissants en accompagnement de son café crème. Le comique repose sur un grossier malentendu : le serveur déclare qu'il n'y a plus de croissant ; le client, qui se veut arrangeant, lui répond que "ça fait rien, je prendrai autre chose, je suis pas un client embêtant... Je prendrai un thé ou un chocolat au lait... avec deux croissants..." etc...
"- Dis, mon papa, le drapeau, tu le veux comment ?
- Bleu, blanc rouge, et sans croissants.
- Ah, excuse-moi, il ne reste que des drapeaux avec des croissants.
- Et bé, ça fait rien, je prendrai autre chose... je sais pas, moi... un drapeau noir, jaune, rouge, et sans croissants.
- Je viens de te dire que c'est fini, les drapeaux sans croissants.
- Ne te met pas en colère. Je suis pas contrariant. Je prendrai ce que tu veux. Tiens, un drapeau vert, blanc, rouge, et sans croissants."
Etc...
(A suivre.)
Joël Fauré