27 septembre 2007
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20:04
C'est une photo. Ratée. Un instant volé. Je la date sans trop de
difficultés. J'ai entre dix mois et soixante-quinze ans. Ce qui nous laisse une marge confortable et permet un amoindrissement d'erreurs.
Ce devait être un dimanche. C'était à la campagne. Des gens de la ville venaient. Guy et Suzon. Jeanne et Raymond. Ils venaient chercher du lait et des oeufs. Ce jour-là, Guy ou Raymond a apporté un appareil-photo qui devait être aussi gros qu'un accordéon.
C'est une photo. Dentelée. Je suis harnaché dans une position inconfortable sur un siège-bébé. Je le suis resté. Bébé et inconfortable. Dessous, on devine les pattes d'un nounours en caoutchouc. A l'arrière-plan, le portail noir de l'étable sert de toile de fond idéale à notre destin. Jusque là, rien de notable. L'intention était louable : on a voulu m'immortaliser bébé.
Si la photo ne devient plus montrable, c'est parce que l'opérateur, dans sa hâte, a libéré le petit oiseau trop vite.
Résultat : mon père, massive carrure, promu coiffeur des stars, une brosse à cheveux entre les mains, venu égaliser mes mèches rebelles, occupe au premier plan un bon tiers du cliché.
C'est pas facile de se placer là où il faut quand on est père.
Surtout quand il y a les autres...
Ce petit livre n'est pas un livre sur mon père ; c'est un glossaire des outils agricoles d'autrefois. Vous avez sans doute dû vous rendre compte que je suis parfaitement incapable d'écrire sur mon père. Ce sera ainsi beaucoup plus simple.
"Objets inanimés avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?"
Ils incluent des roues de charrettes bleu charrette dans leurs portails ;
Ils transforment des pompes à chapelet en vasques de fleurs ;
Ils placent un vieux brabant au milieu de nains de jardin ;
Ils transforment des jougs de boeuf en penderie dans le vestibule du salon ;
"Ils", ce sont les bobos, les beaufs, les "cul-cul", les "gnan-gnan".
Ma mère, ma bonne mère, ma brave "Marthou", a elle-même cédé au caprice d'entasser des vieux pneus, de les peindre façon mur de briques, et d'y planter des bégonias.
J'avoue moi-même avoir été tenté, sans succès, de transformer un fouloir à raisin en destructeur de papier.
(A suivre.)
Joël Fauré
Ce devait être un dimanche. C'était à la campagne. Des gens de la ville venaient. Guy et Suzon. Jeanne et Raymond. Ils venaient chercher du lait et des oeufs. Ce jour-là, Guy ou Raymond a apporté un appareil-photo qui devait être aussi gros qu'un accordéon.
C'est une photo. Dentelée. Je suis harnaché dans une position inconfortable sur un siège-bébé. Je le suis resté. Bébé et inconfortable. Dessous, on devine les pattes d'un nounours en caoutchouc. A l'arrière-plan, le portail noir de l'étable sert de toile de fond idéale à notre destin. Jusque là, rien de notable. L'intention était louable : on a voulu m'immortaliser bébé.
Si la photo ne devient plus montrable, c'est parce que l'opérateur, dans sa hâte, a libéré le petit oiseau trop vite.
Résultat : mon père, massive carrure, promu coiffeur des stars, une brosse à cheveux entre les mains, venu égaliser mes mèches rebelles, occupe au premier plan un bon tiers du cliché.
C'est pas facile de se placer là où il faut quand on est père.
Surtout quand il y a les autres...
Ce petit livre n'est pas un livre sur mon père ; c'est un glossaire des outils agricoles d'autrefois. Vous avez sans doute dû vous rendre compte que je suis parfaitement incapable d'écrire sur mon père. Ce sera ainsi beaucoup plus simple.
"Objets inanimés avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ?"
Ils incluent des roues de charrettes bleu charrette dans leurs portails ;
Ils transforment des pompes à chapelet en vasques de fleurs ;
Ils placent un vieux brabant au milieu de nains de jardin ;
Ils transforment des jougs de boeuf en penderie dans le vestibule du salon ;
"Ils", ce sont les bobos, les beaufs, les "cul-cul", les "gnan-gnan".
Ma mère, ma bonne mère, ma brave "Marthou", a elle-même cédé au caprice d'entasser des vieux pneus, de les peindre façon mur de briques, et d'y planter des bégonias.
J'avoue moi-même avoir été tenté, sans succès, de transformer un fouloir à raisin en destructeur de papier.
(A suivre.)
Joël Fauré