"... le virus s'est collé là
sans aucun doute...
Promis. Juré. Craché.
Les W.-C. deviennent des lieux à n'utiliser qu'en cas d'absolue nécessité : je recouvre le rabat de papier-toilette avant de m'asseoir dessus. La "commission" terminée, j'utilise un important
métrage de ouate de cellulose pour m'essuyer. Mon derrière est devenu le siège social de ma phobie, juste derrière mon sexe. Lui, il a décroché le cocotier : après avoir uriné, j'égoutte
l'appareil une fois, puis une autre, puis une autre, puis une autre, puis une autre, puis une autre, puis une autre, puis une autre encore. Je décalotte le gland avec difficulté, l'agite de
nouveau pour faire tomber le virus qui s'est collé là sans aucun doute. Je remonte le prépuce, décalotte de nouveau. Jusqu'à ce que l'esprit, tranquille, me dicte d'arrêter.
Il me semblait que tous les orifices, l'anus, la bouche, le méat, les narines, les oreilles étaient prêts à recevoir le virus et les protégeais en permanence. Par une lointaine analogie,
j'avais aussi décrété qu'il fallait faire attention à la brosse à dents. Après me les être lavées, le passais sous l'eau les poils de la brosse, tout comme le verre destiné au même usage :
des rinçages répétés, répétés, répétés, répétés vainement, dictés par une pénible tension.
Autant d'actes insensés accomplis malgré moi.
Le temps passait. Chaque jour bâtissait son calvaire. Personne. Rien. Rien que cette béante solitude aggravée par la phobie et le mur du silence. Qui aurait pu me comprendre ? Il aurait fallu
dire tout ce que j'ai écrit jusqu'ici : expliquer aujourd'hui par hier : trop de risque de ne pas trouver les mots, de ne pas se faire bien comprendre.
Le facteur vient de passer. J'ouvre la boîte aux
lettres. Facture, prospectus. Je retire le courrier. Ferme la boîte. La rouvre. La referme. Pour la rouvrir à nouveau. Vérificateur dédouané. Rien n'est resté à l'intérieur ? Le préposé
n'a-t-il rien laissé tomber ? Mes gestes sont ceux d'un acteur qui, inlassablement, répète la même prise. Celui qui me dirige est un exigeant metteur en scène de la nouvelle vague : SIDA.
Car c'est bien à une force irrésistible qu'il me faut céder, au risque de ressentir encore des angoisses : si je ne vérifie pas encore une fois le contenu de la boîte aux lettres, si je
m'essuie pas encore une fois les fesses, si je ne passe pas encore une fois la brosse à dents sous l'eau, alors je vais sûrement attraper le SIDA. Pauvre idiot !
Ce n'est que bien plus tard que j'ai pu mettre un nom sur ces "rituels".
que j'ai pu mettre
un nom sur ces "rituels"
Brèves:
CLARISSE ET GILLES
Ca vous plait ? Moi aussi. C'est pas de moi. C'est de Gilles Leroy, dans "Alabama song", paru au "Mercure de France", un livre qui vient d'obtenir le prix Goncourt.
J'aime tout autant les rencontres et les échanges avec les auteurs lauréats du prix Goncourt qu'avec celles qui les lisent.
C'est ce qui vient de se passer ce soir.
A la librairie "Ombres blanches" où il est venu signer, Gilles Leroy parle de cette "folie à deux" de Scott Fitzgerald et de Zelda. Il dit qu'il a vraiment su ce qu'était le blues, en se rendant à Alabama, devant le grand ciel bleu.
Une jeune fille venu l'écouter lui pose une question et évoque "Les Jeunes filles" de Henry de Montherlant.
Ces deux là me percutent.
Gilles n'a pas fait de chichis pour écrire une belle dédicace ; la jeune fille -elle s'appelle Clarisse- n'en a pas fait non plus, quand je me suis permis de lui demander : "Vous souvenez-vous dans quel livre Henry de Montherlant évoque ces mots "qui montent droits directs, comme la fumée d'un feu de tzigane." ?
JF