A la mémoire d'Alain Robbe-Grillet,
à ses 85 ans d'observation des
tropismes
des végétaux et des hommes ;
A Catherine et Beverly.
L'homme : Pas souvent. Il faut qu'un certain nombre de conditions soient réunies, soient remplies. D'abord, il faut y croire... Il faut le vouloir. Ca
arrive... une fois... par vie... dans la vie.
La femme : Et que faites-vous dans la vôtre ?
L'homme : Je suis brûleur de cageots. C'est-à-dire que je suis chargé d'évacuer le trop-plein de notre société de surconsommation. C'est ma tâche... comment dire ?... officielle,
sociale, quotidienne. Les emballages, les conditionnements, les "packaging"... Je détruis tout ce qui, si ce n'était pas fait, encombrerait, alourdirait, au point que la Terre, épuisée, ne
pourrait plus rien supporter et s'écroulerait sans doute... Vous me direz : "Pas de panique ! Il reste une solution de secours : le crochet !" Oui, mais nous sommes bien peu à le savoir. Et puis,
je dois vous avouer qu'on n'est pas bien sûr que ça fonctionne. (Il s'approche de l'anneau, y passe la main qu'il essuie ensuite.) Regardez : ça rouille.
La femme : Nous étions vraiment faits pour nous rencontrer. Vous êtes brûleur de cageots et il paraît que je suis un peu allumeuse. Mais laissons cela pour le moment. Pour les
autres, je suis "la femme qui fait ça en blanc". On se trimballe de ces surnoms ! Mais peut-être que celui-ci est justifié, je ne sais pas. Je n'ai qu'une quête : capter l'instant où un être
change d'aspect, où un bouton sera révélateur et en appellera d'autres ; où un pli sera déterminant -disgrâcieux mais déterminant- ; où un grammage s'installe ou se désagrège... Le jour J,
l'heure H, l'instant... tanné. (Elle se tasse la main avec le poignet.) C'est un phénomène que nous sommes plusieurs à partager. Je veux savoir pourquoi le temps... Je veux savoir
pourquoi le temps nous modèle comme une pâte à modeler. Nous attendrons ensemble si vous le voulez bien ? (Elle prend une photo du brûleur de cageots.)
(A suivre.)