3 mars 2008 1 03 /03 /mars /2008 13:08

L'inventeur de la machine à peser la souffrance : (Il se ressaisit.) Ca marche. Nous avons changé la courroie sans difficultés.

La femme qui fait ça en blanc : Vous pensez que les moissons seront bonnes ?

L'inventeur de la machine à peser la souffrance : Ce sont là des choses bien difficiles à prévoir.

La femme qui fait ça en blanc : Vous avez les yeux cernés. Rendez-vous ! Parlez-moi encore de votre machine.

L'inventeur de la machine à peser la souffrance : Elle est si fragile que le seul poids d'un regard peut la détraquer. C'est pourquoi je demande aux usagers de fermer les yeux. Elle n'est pas encore tout à fait au point. La fabrication en série est compromise. Et, de toutes façon, je n'y tiens pas. De plus, je me heurte à la communauté scientifique, aux laboratoires et à l'industrie pharmaceutique. Ils m'en veulent d'avoir rendu formulable l'informulable. Ils ne veulent que de l'interprétation libre. Ils me disent : "Dites aux gens : attendez, vous aurez le résultat dans une semaine." C'est comme en justice, c'est dilatoire. C'est pas si facile d'annoncer aux autres le poids de leur souffrance. Il y en a qui ne sont pas préparés... Ah ! Tu parles... De l'interprétation libre...

La femme qui fait ça en blanc : A propos, vous savez ce que c'est ? (Elle désigne l'immense anneau.)

L'inventeur de la machine à peser la souffrance : Je suis un des rares à le savoir. (Il s'adresse au brûleur de cageots :) Je peux le lui dire ? (Le brûleur de cageots acquiesce.) Vous me promettez de ne pas l'ébruiter ? C'est un repère. Il n'en reste plus beaucoup ici-bas. Je ne vous apprends pas que la Terre est ronde. Autrefois, si elle savait bien se tenir, c'était grâce à ça. (Il monte sur le socle de béton et, de sa main, "flatte" l'immense anneau.) Ca, c'était un passant. En dessous venait se glisser une grande ceinture qui faisait le tour de la Terre. Des passants comme celui-ci, on en  voyait un tous les cinquante kilomètres. On m'a raconté qu'ici, par temps clair, on pouvait distinguer le précédent ou le suivant. C'est de l'histoire ancienne, jamais référencée dans les manuels. Aujourd'hui, tout est débraillé. Vous comprenez maintenant pourquoi. On ne compte plus les séismes, la dérive des continents, et même la fracture sociale... Un jour, vous verrez, la ceinture reviendra de là où elle s'est échappée. De là-haut. (Il regarde le ciel.)

La femme qui fait ça en blanc : Oui... Oui...
(Le brûleur de cageots va alimenter le feu.)
Vous étiez à la même messe mais vous n'avez pas lu le même missel.

(A suivre.)

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commentaires

J
Grand merci, Aurora pour votre fidélité et surtout pour la pertinence de vos réactions.<br /> Conscient que mes textes sont un peu "hermétiques", je les ai très peu donnés à lire (hormis "Le personnage tout rouge", le "tube".) C'est un encouragement, ici, à poursuivre la publication. J'ai pleinement conscience (et j'en suis très fier) d'avoir en vous une lectrice de grand niveau...
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A
J'ai tout lu, revenante un peu en retard...<br /> <br /> L'ensemble de cette "Notice" m'émeut très fort, comme une allégorie sur le sens de la vie, le sens de la mort aussi.<br /> <br /> Et ce tout dernier texte me donne envie de pleurer parce que, oui, aujourd'hui tout est "débraillé" et que vous le dites bien mieux ainsi que ne le ferait un discours politique/sociologique/économique/psychologique/écologique...
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