6 avril 2008 7 06 /04 /avril /2008 12:46
Le bleu : Je suis tombé éperdument, viscéralement, et secrètement amoureux. Je l'admirais et elle m'impressionnait. Plus je me défendais de penser à elle, plus son image s'imposait à moi. Je l'ai déifiée. Et comment faut-il s'y prendre pour approcher les déesses ? Elle était tirée à quatre épingles ; je suis fagoté comme le valet de pique. Elle était fine et musclée ; je suis gras et avachi. Impossible de lui avouer ma flamme. Trop tétanisé. Titus dit à Bérénice : "Cet amour est trop ardent, il faut le confesser." Mais entre la tragédie gréco-romaine et le théâtre Elisabethain, il y a un courant qui se cherche, qui ne s'est jamais trouvé. Lui écrire ? Comme dans les plus guimauves chansons d'amour ? Et lui écrire quoi ? (Pose inspirée :) "Petite musique venue de sous la porte de la chambre. Un ré de lumière se laisse entendre. Elle est donc là, et je la sais si là, que moi, si moi, hélas trop moi, caché derrière la fenêtre d'une enveloppe à fenêtre, je fais d'elle celle qui m'indiffère. Je l'entends jouer de sa lyre de ses doigts fins et délicats, émue jusqu'aux ovaires. Tout à peine un grincement de ressort trahit le crescendo de son plaisir. La petite musique lancinante se dégage et se propage et m'incendie. Ô onaniste qui te méfie des hommes ! Ô pics aspics et veloutés ! Ô lèvres purpurines, et ce soleil grenat qui les fait luire. Des meuniers sans tendresse, elle en a rien à moudre. N'oublie pas que moi, je veux bien boire le calice jusqu'à la lie. Comme on fait son lit, on se couche ; comme on fait sa couche, on se lie. Elle est plantée là, dans mon corps, je ne sais où. Et mon corps est tout endolori autour. En ses cheveux ébène, j'ai humé l'air qui flotte à Kerguelen. Je suis pris en ses rêts, en ses sourires entendus, d'acajou, de succube. Vite ! Une rime riche ! La la la la la le délicieux poison qui s'incube. Tout entier en son corps gracile fait de marbre grec, une fragrance de musc sauvage vient dégager l'espagnolette. Je veille au grain de peau velouté comme une pêche. Son regard m'enjôle, m'enrôle. Je tombe et je succombe. (Un temps.) Je lui écrirai. Mais je ne lui ferai rien lire. Je lui ai écrit. Mais je ne lui ai rien fait lire. (Un temps.) Vous n'avez pas soif ?

L'infirmière :
Non, merci.

Le bleu : Franchement ?

L'infirmière :
Sans façon.

La journaliste :
Nous en savons assez. Nous allons prendre congé. Merci pour cette belle leçon de courage et d'humilité. Nous allons au laboratoire développer les épreuves que vous avez endurées. Je tiens un tire pour le sujet : "Un pinçon ou un suçon ?"

Le bleu :
Ca passera quand ?

La journaliste : Très bientôt, je vous le promets.

(La journaliste et l'homme à la caméra s'en vont avec leur matériel.)

(A suivre.)


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