30 avril 2008 3 30 /04 /avril /2008 15:48

(L'ancien garçon de ferme et l'experte en tôle s'adossent à la voiture.)

L'experte en tôle : "Mi ville sainte - mi ville d'eau". "Passage obligé". "Mignon petit hameau". "La capitale où est né ce chanteur que beaucoup aiment"...

L'ancien garçon de ferme : Il y a un lien ?

L'experte en tôle : J'ai ma petite idée...
(Elle déplie le plan ; éprouve quelques difficultés à le replier : c'est courant.
Elle déplie la page de journal et la parcourt des yeux.
Elle inspecte la lettre.
Elle sort un calepin et prend des notes.
L'ancien garçon de ferme sort de sa poche un modèle réduit de voiture, reproduction de l'original.)

L'ancien garçon de ferme : Teuf ! Teuf ! Je suis un imposteur. Je vous ai dit que j'avais peur ; ce n'est pas vrai. Je n'ai pas peur : j'ai très peur. A cause d'elle. (Il désigne la voiture.) A cinquante, c'est le volant qui tremble. A cent, ce sont les vitres. A cent cinquante, c'est moi. Et pourtant, il ne reste plus beaucoup de temps. Vous montez ? Vite ! (L'experte en tôle et l'ancien garçon de ferme remontent dans la voiture.) Je crois maintenant être sûr de savoir à qui elle est. Je retrouve un peu la mémoire. Avec elle, nous avons eu un accident. Nous étions un accident. Je suis presque mort. Elle ! Elle ! Elle voulait toujours tout conduire, alors qu'elle n'y voyait plus rien. Et moi, j'étais toujours avec Elle... Je l'ai suivie à "Mi ville sainte- mi ville d'eau", j'ai connu "Passage obligé" et "Mignon petit hameau". Et aussi "La capitale où est né ce chanteur que beaucoup aiment"... A trop labourer le passé, il faut s'attendre à découvrir des ruines. Et mon passé est là qui me poursuit et me promène. Le passé fidèle au passé. J'ai toujours été du genre : "Je tombe en panne ; j'appelle la dépanneuse : la dépanneuse tombe en panne". Ou "Je tombe dans un carré d'orties ; des guêpes viennent me piquer". Ma mère me disait : "Il pleut toujours sur le mouillé". Ce qu'on cherche souvent très loin est souvent très près. Je ne suis pas resté garçon de ferme, et je  n'ai pas pu devenir col blanc. Je ne sais pas m'occuper de la ferme et mes cols sont crasseux. Je ne sais pas conduire les tracteurs et mes phrases sont boiteuses. A cause d'Elle. Toujours contrarié. Encore Elle ! Elle ! Elle ! Teuf ! Teuf ! Je suis presque mort. Et pourtant, ne clouez pas mon cercueil et laissez la tombe entrouverte. J'ai peur de m'étouffer encore. Teuf ! Teuf ! Elle ! Elle ! Elle au bord de la mère, lui au bord des larmes...
(L'ancien garçon de ferme parle de plus en plus vite.
Le lecteur comprendra qu'avec ce procédé, nous voulons traduire la course de la voiture qui gagne en vitesse.)
Sur le livret de santé, il est écrit : "L'enfant a-t-il crié ?" Bien sûr qu'il a crié ! Il a crié. Il a même hurlé. Et vous l'avez fait sortir quand même, bande de représentants à la "six-quatre-deux" ! Vous l'avez fait sortir sans vous soucier du noeud qui se trouvait sur le cordon ombilical, noeud qui devait vous rappeler qu'il fallait penser à le sectionner. Et vous ne l'avez pas fait ! Le chien aboie, la caravane passe, le vagin vagit et le pénis peine. Oui, je sais, quand il crie, l'enfant, c'est qu'il est en bonne santé, qu'il chasse les glaires, mais bon... (Il parle de plus en plus vite.) Vous l'avez fait sortir quand même et vous l'avez englué dans un magma de contraintes et de difficultés dont il n'a jamais pu se décoller...

L'experte en tôle : Freinez ! Mais freinez, mort d'Elle !

(Noir total.
Bruit d'acclamation de la foule.
Lumière.
L'experte en tôle et l'ancien garçon de ferme sont debouts dans la voiture, grâce au toit ouvrant.
Ils saluent et ressemblent à des papes ou à des chefs d'Etats.
Caquètement de poules.)

(A suivre.)

Partager cet article
Repost0

commentaires

J
Ce rapprochement avec un grand me fait monter le pourpre au front.
Répondre
A
Quel monologue que celui de l'ancien garçon de ferme!<br /> Il y a parfois des accents de Joyce chez vous...
Répondre

Présentation

BIENVENUE

ESPACE LITTERAIRE ET EROTIQUE
Soyez les bienvenus sur cet "égoblog",
petit jardin virtuel.

N'oubliez pas, quand même, d'aller vous aérer.

"Vivre,
c'est passer d'un espace à un autre
en essayant le plus possible
de ne pas se cogner."

Georges PEREC



 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Recherche

Liens