L'ancien garçon de ferme : (Il explique ce qu'il voit.) Quel cirque ! C'est la répétition. "La répét'", disent les
apocopistes. Je veux bien vous dire ce que je vois, mais je ne sais pas si j'aurais les mots justes. Je vais être en dessous de tout. J'ai l'esprit assiégé par ce qu'elle est en train d'écrire...
Je le sais, ce qu'elle va écrire... Je le redoute. "Vous êtes terriblement lucide ; c'est dommage !" m'a dit un observateur patenté ou une connaissance hygiénique. Bon, alors, vous avez des
camions. De gros camions. Tracteurs et semi-remorques. Pas de ceux qui sont bâchés. De ceux qui ressemblent à des boîtes de Mercurochrome. Mais en fer. Et partout sur leurs flancs, il y a de
toutes petites fenêtres, vous savez, comme sur les calendriers de l'Avent... D'autres camions arrivent deux par deux, dans un vrombissement odorant... Ils dansent un étrange ballet et viennent se
placer derrière contre derrière. Ca colle ! Une fois collés, on sent bien qu'il va se passer quelque chose ; on sent bien qu'il règne à l'intérieur une phosphorescence effervescente ou une
effervescence phosphorescente. Il va y avoir du spectacle ! Les portes du fond s'ouvrent en accordéon, en vis-à-vis, en regard, ce qui permet une certaine communication... Une belle ouverture en
musique se fait entendre, avec beaucoup de cuivres. Et puis, soudain, des claquements de fouet. Et pas une plainte. Des bêtes habituées ? Des cinglés ? Une autre fenêtre s'ouvre.
(Regards qui différent dans la gamme : amusement, étonnement, émotion.)
Je ne peux pas vous dire... Je ne sais pas vous dire... Vous ne comprendriez pas... (Silence.) Une
fenêtre s'ouvre... Et le monde est là. Ah ! Les artistes ! Et les mots, les jolis mots qui s'amusent... "Deux et toi, ça fait pas sain." Que c'est drôle ! "Toi et toi, ça fait si." C'est futé !
"La joie, c'est joli sans "l", mais avec "e"... Ah ! Que c'est bien trouvé ! Pantalon et Colombine...
(Un temps.)
Une fenêtre s'ouvre... Et c'est la parade des amoureux. Je n'aime personne parce que personne ne m'aime ou personne ne m'aime parce que je n'aime personne ?
(Un temps.)
Une fenêtre s'ouvre... Et se projettent des pellicules à sangloter. "Les revenons-y de l'extrême nostalgie sont toujours décevants".
(Un temps.)
Une fenêtre s'ouvre... Des diapos et de vieux films de famille des familles. Tiens, celle-ci ressemble à ma belle-soeur... Et dire qu'ils vont venir jouer ça ici !...
(Un temps.)
Une fenêtre s'ouvre... C'est un voyant. Rouge. Vert. Rouge. Vert. Rouge. Rose ? "Tout ce qui est vert n'est point rose et tout ce qui est rose n'est point vert." Rouge.
Les lieux d'aisance ne sont pas accessibles... On va encore se faire dessus... Rouge. Vert. Rouge. (Il s'assoit.) Vert. (Il se lève.) Rouge. (Il s'assoit.) Vert.
(Il se lève. L'experte en tôle revient sur le plateau, des documents à la main.
Elle est d'abord intriguée par le comportement de l'ancien garçon de ferme.)
L'experte en tôle : Assis. (L'ancien garçon de ferme s'assoit.) Debout. (L'ancien garçon de ferme se lève.) Assis. (L'ancien garçon de ferme
s'assoit.) Debout. (L'ancien garçon de ferme se lève, semble s'apercevoir enfin de la présence de l'experte en tôle, et, dans un plissement de lèvres, s'accorde à reconnaître l'absurdité
de son jeu.)
L'ancien garçon de ferme : Vous me faites marcher...
(Il s'assoit.)
(A suivre.)