Le redevenu vert : J'attends le facteur. C'est important, vous savez, le facteur, à la campagne. Encore enfant, je m'ennuyais
beaucoup. Je savais son arrivée comme une possible fête. Il y a tant de choses dans une enveloppe et, mieux, dans un paquet ! Je montais sur le perron, et je le guettais. Quand je voyais, sur la
route, au loin par delà les champs de maïs, filer sa petite voiture jaune avec son petit oiseau bleu dessus, je devenais tout chose. C'était un signal pour mon coeur d'être content. S'il ne
s'arrêtait pas, c'était une grosse déception. Mais s'il s'arrêtait... Alors, là, s'il s'arrêtait...
La fille caramel : S'il s'arrêtait ?
Le redevenu vert : S'il s'arrêtait... D'abord, très souvent, je me cachais... J'avais peur de sa casquette. Ce qui était intéressant, c'était ce qu'il apportait, ce qu'il avait
dans les mains. Il le donnait à mon père, débitait une gauloiserie et repartait... Je retournais vaquer à des opérations de haut vol, aux grandes manoeuvres d'approche de la vie : je découpais un
bon dans un illustré à découper suivant les pointillés et je faisais venir des petites babioles, des petits riens à vingt centimes. Sur un petit carnet, je notais les dates jour après jour,
jusqu'à ce que j'avais demandé arrive. Ca n'arrivait jamais assez vite ! J'étais pressé, vous comprenez ? J'avais hâte de m'inventer des petites joies. Les gros catalogues en étaient garnies. J'y
mettais le nez et l'y laissais longtemps... Je le sentais, je le humais... Je le sentais bien... Ah ! Rêver sur le papier brillant et glacé qui sentait bon et regarder passer les commandes de
jouets... Une fois qu'on sait que le Père Noël n'y est pas pour grand chose, c'est du coup le facteur qui est investi de ce pouvoir magique... Aujourd'hui, rien n'a changé : j'attends le
facteur.
La fille caramel : Et ensuite ?
Le redevenu vert : Ensuite ?
La fille caramel : Je veux savoir. J'attends ce que vous attendez. Quand vous n'attendrez plus, vous reviendrez peut-être ?
Le redevenu vert : J'attends la nuit. J'aime beaucoup la nuit. J'aime ses parfums, ses silences, ses refuges. C'est l'heure où j'officiais à l'antenne. Les notes du générique
s'égrènent... C'est bien... C'est un peu comme les fauves, au cirque, quand ils entendent les premières mesures de la musique de leur numéro ; ils sont excités parce qu'ils savent qu'ils vont,
qu'ils doivent, qu'ils vont devoir entrer en piste. Je sors ici, à la fraîche ; je hume l'air parfumé à plein nez et à pleins poumons. Je regarde le ciel. Il n'y a qu'à la campagne, la nuit
venue, qu'on peut vraiment voir le ciel en entier, et les étoiles aussi, sans les angles imbéciles des rues, des maisons, des villes...
(Un temps.)
(A suivre.)