ACTE II
Décor inchangé.
A l'avant-scène, un magnétophone à bandes, de type REVOX, est en train de tourner.
Aucun son.
On peut supposer qu'il est en mode enregistrement.
Ce serait bien si le public pouvait se "questionner" à ce sujet.
Puis un son se fait entendre :
c'est celui du murmure typique d'un public, dans une salle et dans l'attente qu'un spectacle débute.
Ce qui précéde le début d'un spectacle, fait de conversations mêlées, où rien ne se distingue vraiment.
Le murmure s'évanouit, et laisse la place à une voix, celle du redevenu vert.
Du magnétophone, la voix du redevenu vert : Ce n'est pas le genre de la maison-mère, mais les bornes ayant été dépassées, voici calé sur la console un droit de réponse,
conformément aux droits et aux devoirs de la Communication et du Code de la Liberté Individuelle. Au micro, le redevenu vert. Tout d'abord, mes amitiés à celles et ceux qui ne m'ont pas oublié,
qui n'ont pas la mémoire courte, et qui m'adressent des témoignages de leur fidélité. Et ce, malgré mon absence. Pour clore une polémique qui tend à s'installer et faire taire les plus folles
rumeurs, je voudrais tordre le cou à ces affabulations débridées, régler mes comptes avec ce métier de langue de pute... Autant pour moi, vous couperez au montage... avec ce métier de relations
publiques.
Je ne suis pas parti parce qu'on m'a chassé. Je ne suis pas parti pour raison de santé. Je suis parti parce que je suis devenu moins bavard, et je suis devenu moins bavard parce que je suis
blessé de voir ce que je vois et d'entendre ce que j'entends. J'ai perdu mon sens de l'humour qui n'arrive plus à rien masquer, qui n'y peut plus rien. Je suis blessé de voir notre langue si
belle et si riche mise à rude épreuve, presque en hachis, par une soi-disant relève qui ne fait qu'abaisser le niveau, incapable d'aligner trois mots et de construire une phrase correcte. Je suis
attristé de voir le vocabulaire se paupériser au bénéfice de la rapidité, de la rentabilité. A telle enseigne que la mission des nouveaux communiquants se borne à lancer trois borborygmes et une
onomatopée pour cibler leurs messages. Triste chapitre boiteux ! Un mot, c'est un mot. Bien sûr, ce n'est jamais qu'un mot, me direz-vous. Et pourtant, partager les plaisirs de la langue, c'est
bien, non ? Quant à moi, j'ai retrouvé mon quant-à-soi. On peut bien dire pis que pendre, peut me chaut.
(Le redevenu vert entre sur le plateau en poursuivant ce qu'on continue à entendre au magnétophone ; tout en parlant, il saisit le magnétophone et l'emporte avec lui ; il le dépose sur la
table et s'assoit.)
Je suis parti parce que j'en avais assez des bassesses, des hypocrisies, des mesquineries. Je suis parti parce que tout le monde se cachait derrière ses rideaux. Je
suis parti parce que je voulais redonner un sens à ma vie. Je suis parti parce que je voulais me remettre au vert. Je suis parti parce que je voulais me consacrer à des quêtes personnelles. Je
suis parti pour convenance personnelle. Je suis parti parce que je voulais me remettre en question, me recadrer, tout reconsidérer. Je suis parti parce que j'ai pris conscience de la précarité de
la vie : vous savez qu'elle peut nous être ravie à tout instant. J'ai voulu me repositionner et tout voir sous un autre angle. Enfin et surtout, je suis parti parce que je voulais me
rapprocher d'elle, de la nature, de ma nature, de celle qui m'a fait, qui a fait ce que je suis, comme je suis. A la campagne, le redevenu vert, pour la radio. A vous les studios.
(Il éteint le magnétophone.)
(A suivre.)