"L'agonie des certitudes
et l'urgence de l'espoir."
Soyons lucide. "Tout" a commencé avec la peur du Sida. Le Sida, ce poison, n'est pas passé par moi. Je ne suis pas contaminé
parce que j'ai pris des précautions. Mais ces précautions portent un nom : obsessions-compulsions. Le contre-poison. Tout aussi douloureux que le poison.
Avant que ne survienne l'agonie des certitudes et l'urgence de l'espoir, que faire ?
Je suis arrivé à un degré de souffrance tel qu'il est impossible de le décrire, de le traduire.
Suis-je arrivé à un degré de souffrance tel que celui qui en réchappe devient immanquablement un héros ?
Du calme, petit soldat, du calme. Pense aux mots de Jean Guitton : "J'étais centenaire, ou peu s'en fallait. Je ne souffrais pas, ne m'angoissais guère et, tout en m'éteignant, je
pensais. Mais aussi, j'attendais."
Le Sida : contenu des obsessions, moteur des compulsions.
Le traitement de la maladie a évolué : elle est mieux cernée, mieux soignée ; des molécules associées en multithérapies prolongent la vie des malades et en assurent un certain confort mais...
Je devrais songer à plusieurs choses :
Un bon mot de Coluche : "Le Sida est une maladie qui s'attrape en lisant les journaux."
Le titre d'un livre du docteur Willy Rosenbaum : "La vie est une maladie sexuellement transmissible, constamment mortelle."
Les phrases que m'a dites le professeur Maxime
Armengaud, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales, alors que je l'avais invité au temps où je "radiotais" : "Le Sida ne se contacte sûrement pas dans les contacts de la vie
de tous les jours. Ca n'est pas possible. Pour se contaminer, il faut échanger nos cellules, les cellules, les nôtres, c'est-à-dire ces cellules qui sont habituées à vivre dans un environnement
chaud, humide, de PH régulier, neutre. Vous ne pouvez échanger vos cellules que dans des rapports très très très intimes, et il faut qu'il y ait de la cellule."
Un dialogue, enfin, entre
Pierre Desproges et son médecin :
Le docteur : "Il va falloir avoir beaucoup de courage. Ce que je vais vous annoncer est très grave : il vous reste soixante-quinze, quatre vingts, en comptant large quatre-vingt quinze ans à
vivre..."
Pierre Desproges : "Mais enfin, docteur, c'est pas un cancer ? C'est pas le Sida ? Alors, qu'est-ce que c'est ?"
Le docteur : "Ben, c'est... la vie."
Pierre Desproges : "La vie ? La vie ? Et où est-ce que j'ai pu attraper une saloperie pareille ?"
Le virus se détruit-il au contact de l'air ? Au bout de mes doigts, le microbe ?
Particules, ions, gouttes, gouttelettes, cellules : le TOC, c'est l'apologie de l'infinitésimal, c'est la stigmatisation de la goutelette, c'est le couronnement d'un fétu, c'est la surenchère de
la précaution...
Tout serait tolérable s'il n'y avait pas cette si vive angoisse qui me rattrape, me saisit et m'étreint. Et me paralyse. Jusqu'à ne plus pouvoir communiquer. Et ma tête est alors enserrée
ainsi que dans un étau. Je sens ses puissantes mâchoires me meurtrir le cerveau.