"C'est en septembre..."
2001. L'année de tous les dangers. Tombé sous la titraille des journaux que j'achète mais ne peux pas lire. S'accumulent sur une
tablette, au jour le jour, jetés plus que posés, des exemplaires et des éditions spéciales forcément uniques, des tirages spéciaux imprimés à mon intention, qui me tordent la tête et ne
l'essorent pas. Sans cesse freiné au cours de la lecture, je préfère tout laisser en tas ; si je tente une oeillade, je risque gros sur le plan de la retenue. Je devrais me dire que "Molière
est nouveau ce matin, et rien n'est plus ancien que le journal du jour". Mais baste !
Septembre 2001. Le onze. Il doit faire quelque chose comme doux. Une collègue annonce que "des avions se sont écrasés à New-York sur le Pentagone. C'est un attentat." On sent
bien que quelque chose de grave s'est passé. Les antennes d'héliotrope se vrillent dans l'air du temps. Mais même les instants historiques ne se laissent pas capturer, cerner à la seconde près.
Ce n'est qu'après qu'ils se peuvent calculer, qu'il se peut dire : "J'y étais" ou "J'en étais".
Septembre 2001. Le vingt-et-un. Il doit faire quelque chose comme bon. 10 heures 15. J'ai deux disquettes à la main. Je vais faire une sauvegarde et un transfert de données. Je suis debout, près
d'un couloir. Ce que je retiens, au nom de la littérature qui relate sans faire de chichis, c'est le petit panneau orange suspendu en l'air à une potence, comme une enseigne, où il est inscrit le
nom d'un service, qui s'amuse à faire de la balançoire alors que l'heure est grave. J'entends une très grosse explosion, le sol tremble, du plâtre tombe. Tout va très vite. Pour moi, qui me
souviens plus des cours de géographie que des cours d'histoire, j'attribue ce vacarme à un tremblement de terre. Oui, je sais que je peux mourir. Et, paradoxalement, je n'ai pas peur. Je descends
les étages sans hâte, presque second, presque serein. Je vais même jusqu'à rassurer une collègue. Je sors. Je suis sur la place. Tout le monde est dehors. Je ne vais pas donner dans le pathos, le
mélo, l'archi-connu, lu, su, entendu, dit, écrit, déformé, amplifié de ces instants-là : "la catastrophe AZF à Toulouse".
Tout le monde est dans la rue. Les sirènes hurlent partout. On voit des gens se protéger le nez et la bouche avec des masques de
chirurgien de fortune. Un nuage toxique se déplace. Il vient vers nous. Qui a fait ça ? Des extrêmistes, qui nous en veulent, nous haïssent même ? Comme à New-York ? Alors, si c'est le
cas, mon père avait raison ? Allons-nous mourir en collectivité ? Ils veulent jouer avec nos nerfs, nous réduire en poudre, nous asperger de produit létal avec des avions, comme dans le
film d'Alfred "La mort aux trousses" ? Ils veulent mettre de l'anthrax dans les enveloppes. Comme si je n'avais pas assez de mal à les ouvrir sans ça...
"C'est l'ONIA qui a pété". A Toulouse, on dit encore l'ONIA alors qu'on devrait dire "AZF", ou "APC" ou encore "Grande Paroisse". Mais
"L'ONIA", c'est joli, ça fait prenom féminin, alors qu'"AZF", ça fait médicament. On aurait dû se méfier de cette entreprise qui s'interrogeait autant sur son
identité, vous ne trouvez pas ?