"Plus personne ne va rire."
2002. Le premier janvier. Nous changeons de monnaie et passons à l'euro. Un euro égale 6,55957 francs. Sans commentaire. Je fonctionne
sur de vieux acquis et de vieux repères, et je suis psychorigide. Je me fâche définitivement avec les chiffres et avec l'argent.
2002. Ca se lit dans les deux sens. C'est un palindrome. Comme Bob. Esope reste ici et se repose.
A Toulouse, nous nous souvenons du 21 septembre 2001.
Georges Brassens chante : "Le 22 septembre, aujourd'hui, je m'en fous..." Il y a des lendemains qui déchantent...
Le 21 avril 2002, conformément à la Constitution, nous sommes invités à nous choisir un Président de la République. Au soir du dimanche 21, les pêcheurs à la ligne, les votants, les nuls et les
blancs, et les non-esprimés découvrent un traumatisant résultat. Le candidat de gauche Lionel Jospin est écarté ; Jean-Marie Le Pen, le leader du Front National talonne Jacques Chirac. Que veut
la France ? "Libé" détaille : décryptage d'un programme-cauchemar. La France que nous réserve Le Pen. Immigration : expulsables, papiers ou pas. Justice, sécurité, police : la
répression à mort. Défense : tous les citoyens au garde à vous. Enseignement, culture : pas d'école pour les mauvais en Français. Famille et moeurs : pas d'IVG, pas de PACS, trois enfants et
plus. Santé : soins aléatoires, tests obligatoires. Travail, logement, allocations : destruction des aides sociales. Agriculture : des paysans enterrés. (Libération du jeudi 25 avril 2002,
pages 4 à 9.)
Au deuxième tour, "entre la peste et le choléra" disent certains, le gaulliste Jacques Chirac est élu Président de la République avec 82 % des voix.
Février 2002. Sur mon répondeur, je trouve ce message :
"Oui, Joël. Je pense que vous êtes Joël Fauré. Je suis madame B. J'ai une très mauvaise nouvelle à vous annoncer, à savoir que Jean-X. avait mis fin à ses jours fin de cette semaine à
Strasbourg. Je sais qu'il avait beaucoup d'amitié et d'affection pour vous. J'ai pris le courage de vous le dire moi même. Pensez à lui. Je vous remercie et je vous embrasse de sa part. Au
revoir."
Pensez à lui ! J'ai connu Jean-X. à la clinique verte et blanche. Ce tout jeune homme de 25 ans avait eu un accident de voiture d'où il était ressorti avec un traumatisme
crânien. Parallèlement, ses troubles obsessionnels compulsifs sont de l'ordre de la vérification, et il en souffre horriblement. Il dit : "Avec les TOC, tout est une question de vie
ou de mort". Il est issu d'un milieu aisé, aime les jolies filles, s'intéresse à l'informatique. Courant 2001, il engage une thérapie comportementale et cognitive dans une clinique de
l'Yonne qui semble porter ses fruits. Il est heureux de m'apprendre qu'il a marqué des points : "Il ne faut pas faire l'économie de cette démarche. J'ai retrouvé 80 % de la qualité de la
vie".
Alors, pourquoi s'est-il supprimé ? Que s'est-il passé ? Il avait perdu son travail (pas à cause des TOC), sa petite amie l'avait quitté. Il était plus dépressif qu'obsessionnel.
"Il s'enfermait toute la journée dans sa chambre" me dira sa mère.
Il est allé en gare de Strasbourg ; sur les rails, il a sorti son téléphone portable et a appelé sa mère. Il lui a dit quelle était son intention, quel acte il préparait. Elle a tenté de le
raisonner. "Il semblait calme, serein". Jusqu'à ce que sa mère entende le choc du train qui le percutait. La mort de son fils en direct.
"Pourquoi, s'interroge-t-elle, a-t-il choisi cette mort si violente, lui qui était si doux ?"
Plus personne ne va rire.
"Pensez à lui" m'a-t-elle dit.