L'employé aux écritures : Au musée Saint-je-m'y-perds, je vais souvent caresser les bottes de plâtre -très réussies- d'un
capitaine d'infanterie. Il en impose. Chapeau au statuaire qui a moulé cette figure en pied. Bottes immortelles qui ne se crottent plus que de quelques pets d'insectes, quelques chiures de
mouches. Vous avez vos jambes de plâtre dans la chair, mon capitaine. L'ennemi est là, le moral est bon, les troupes sont fraîches. C'est pas le moment de flancher. Vous n'avez pas que des
spartiates à vos pieds. Hep, vous, là, dame botteresse, guerrière d'opérette, d'où vous en venez-vous ?
(La femme aux bottes qui dépassent le genou revient sur scène.
Elle a des confettis dans les cheveux.
Elle porte un retire-bottes.
Elle va se placer de l'autre côté de la ligne jaune, dépose l'objet, et se met en situation de se déchausser.
L'employé aux écritures poursuit sa tirade, sans la voir, la main retenue plaquée sur ses yeux.
Vous êtes exténuée d'avoir si bien dansé au carnaval. Vous en avez plein les bottes.
(La botteresse retire ses bottes qu'elle agite au-dessus d'elle ; il en tombe une pluie de confettis.)
Vous êtes si chaude que vos bas grésillent. Ca sent la sueur et le musc. Des gouttelettes font du trapèze volant entre vos doigts de pied. Mais vos ronds-de-jambes n'y feront rien. Je n'entrerai
pas dans la bataille. La ligne Imaginot remplit son office.
(La botteresse entre dans la cabine téléphonique, les bras chargés de ses bottes ;
la manoeuvre entravée, elle compose un numéro.
Visiblement, le téléphone ne fonctionne pas.)
Combien pour ces bottes dans la vitrine ? Que préférez-vous lécher ? Des bottes ou des vitrines ? Sondage réalisé entre le premier et le trente et un mais pour le compte du journal "Les
mille bottes du mille-pattes".
(La botteresse sort de la cabine et se dirige vers l'employé aux écritures.
Elle se penche sur lui, de telle sorte que les bottes sont sous son nez.)
La botteresse : Monsieur...
(L'employé aux écritures retire sa main, voit les bottes et ne voit que ça.
Il sursaute.)
La botteresse : Je vous ai fait bondir ?
L'employé aux écritures : Non, vous me faites abonder.
La botteresse : Vous êtes sage comme une image.
L'employé aux écritures : Et quelle image !
La botteresse : Le téléphone est en dérangement. Vous n'auriez pas un stylo ?
L'employé aux écritures : Je n'en ai plus, désolé. On ne m'en donne plus. De nos jours, on n'écrit plus ; on se téléphone ou on pianote. On ne donne plus de stylos aux employés
aux écritures. C'est trop subversif. Moi, je ferme souvent les yeux.
(Il plaque de nouveau sa main sur ses yeux.
La botteresse s'éclipse discrètement.)
(A suivre.)