Personnages :
Mademoiselle
L'illusionniste
L'horloger
La passante
Des passants...
PREMIER ACTE
Une rue.
Une agence avec une seule enseigne : AGENCE, sans autre indication.
Un banc public.
Une palissade avec quelques affiches à moitié arrachées.
Un homme est tout près du rideau de l'agence.
Une jeune femme (Mademoiselle) s'approche.
Mademoiselle : Monsieur ?
L'homme : ...
Mademoiselle : Monsieur ?
L'homme : Madame ?
Mademoiselle : Mademoiselle.
L'homme : Mademoiselle ?
Mademoiselle (Désignant l'agence.) : Vous aussi ?
L'homme : Moi aussi.
Mademoiselle : Il y a longtemps que vous attendez ?
L'homme : Suffisamment pour que je perde patience.
Mademoiselle : Quelle heure est-il ?
L'homme : "Neuve" heure. Il y a bien des inscriptions, là, sur cette plaque, mais les horaires sont effacés.
Mademoiselle : Vous verrez, elle ouvrira contre toute attente. C'est une adresse réputée.
L'homme : Le sera-t-elle assez pour me rendre mes illusions ?
Mademoiselle : Vous les avez perdues ?
L'homme : Toutes. Tout marchait pourtant très bien. Je brûlais les planches. D'un chapeau-claque, je faisais apparaître des elfes et des ondines aux berges d'une rivière de
diamants qu'Alcyon effleurait de son aile. Pour célébrer sur les fonts baptismaux la naissance de dix-huit naïades, l'Echanson des Dieux venait servir le philtre qui transformait les larmes
en or pur. Assistaient aussi aux cérémonies douze douzaines de sylphides callipyges soumises et rangées, un quarteron de rosières vêtues comme à Carême-prenant, un banc de sirènes fretillantes et
argentées qui apprenaient la valse à des albatros empruntés, soixante-quinze déesses cosmopolites glissées dans de hautes bottes de cuir bleu et des myriades de figurants dociles, priant avec
ferveur, à genoux, aux pieds d'Omphale triomphante. Je faisais descendre le serpent du Caducée, sortir d'Hydre de Lerne et tous les loups de Paris. J'étais le meilleur des illusionnistes. Et puis
un jour, il a fallu se rendre à l'évidence : l'apparat était devenu dérisoire. On a crié à l'imposteur, au charlatan ; on m'a chassé du temple, voué aux Gémonies. Et voici à quoi je suis réduit
aujourd'hui : à venir pointer dans cette agence miteuse, aussi fermée que l'esprit d'un public aveuglé par les nouveaux marionnettistes. Oh ! Mais, je ne suis pas fini, moi. Je leur montrerai que
je suis encore un artiste. Un vrai. Un pur. Un sincère. Un grand. Le Grand Manolo ! El Grande Manolo ! The great Manolo ! And now, ladies and gentlemen, the greatest showman in the world : the
geat Manolo ! Je suis le Grand Manolo ! (Plus fort, en s'époumonant.) Je suis le Grand Manolo !
Mademoiselle : Qui êtes-vous, monsieur ?
L'homme (L'illusionniste) : (Plus bas et résigné.) Je suis le Grand Manolo...
Mademoiselle : Les affiches arrachées, c'est vous ?
(Elle désigne les affiches, sur la palissade.)
L'illusionniste : Les affiches arrachées sous le menton : c'est là qu'il y avait mon nom...
Mademoiselle : Monsieur...
L'illusionniste : (Avec interrogation et insistance.) Mademoiselle ?
(A suivre.)