Mademoiselle : Je voudrais tant qu'il devienne des nôtres.
L'illusionniste : Il hésite.
Mademoiselle : J'aimerais tant qu'il entre dans notre camp.
L'illusionniste : Il nous a vus.
Mademoiselle : Il s'arrête.
(Le passant s'arrête à la hauteur de Mademoiselle et de l'employé aux écritures.)
L'illusionniste (Au passant, désignant l'agence.) : Vous aussi ?
Le passant : Moi aussi. Il y a longtemps que vous attendez ?
L'illusionniste : Suffisamment pour que nous perdions patience.
Le passant : Quelle heure est-il ?
L'illusionniste : "Neuve" heure.
Mademoiselle : Oui, devant ce rideau encore baissé et l'heure qui marque le pas, nous avons vu poindre quelques doutes.
L'illusionniste : Quelques doutes justifiés.
Le passant : Il est vrai que l'attente est toujours un peu angoissante, comme le souligne fort à propos votre épouse.
L'illusionniste : Ce n'est pas mon épouse !
Le passant : Pardonnez-moi. Je croyais que vous étiez ensemble. Vous vous ressemblez tellement.
L'illusionniste : Nous attendions ensemble sans l'être. A dire vrai, nous nous étions découvert quelques... différences. Et nous comptions les soumettre à votre appréciation.
Vous connaissez cet endroit ?
Le passant : Je l'ai bien connu dans le temps. Il n'a pas changé. Il y a longtemps que mes pas ne m'y avaient pas porté. Les tractations et les rencontres se sont espacées,
technicité oblige. Je pensais ne jamais avoir à y remettre les pieds.
L'illusionniste : Il est vrai qu'on n'y vient pas de gaieté de coeur.
Le passant : C'était en... Je ne me souviens plus. J'étais venu y déposer quelques monnaies sonnantes et térbuchantes, et puis après un long chemin facile, fleuri, j'ai moi aussi
trébuché. Les revenus, les biens, les rentes, sans aucun garde-fou... Voyez-vous, moi, je suis dans l'horlogerie. Toute ma vie, j'ai mesuré le temps, et le temps me tue sans mesure. Plus personne
ne veut d'horloge. Les gens vont trop vite, ils doivent être très malheureux. Ils ne veulent plus d'horloges : ils préfèrent l'argent des horloges ! On dirait que ce monument aux sorts leur
fait peur. Alors, les belles pendules d'argent m'ont désargenté. Peut-être ont-il trop écouté Brel : "Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d'argent, qui ronronne au salon, qui dit oui
qui dit non et puis qui nous attend..." Me voici donc sans un sou vaillant, avec sur les bras une multitude de créanciers qui tapotent leurs montres et se frottent pouce contre index. Me voici
donc ici, venu pour m'incliner devant un guichetier qui, si ma mémoire est bonne, est borné. De plus, il est hautain. Et il sent mauvais. L'argent n'a pas d'odeur, mais lui en a une. Forte. Il
sent la suffisance. Mais... J'y songe, vous deviez me soumettre vos différences...
L'illusionnsite : C'est que vos propos, dans le même temps viennent de les démonter, les dissiper et les épaissir...
(A suivre.)