21 septembre 2008 7 21 /09 /septembre /2008 19:41

La passante : Pardon, messieurs-dame, vous n'avez pas vu un journal traîner par ici ? J'ai dû l'oublier sur ce banc tout-à-l'heure.

L'illusionniste : Tout-à-l'heure ?

La passante : Oui, tout-à-l'heure... Mais... Vous n'êtes pas le grand Manolo, l'illusionniste ?

L'illusionniste : Pour vous servir, mademoiselle...

La passante : Madame.

L'illusionniste : Pour vous servir, madame. Tenez, voici votre journal. Les pliures ont un peu souffert car nous l'avons beaucoup trituré, mais il n'a pas beaucoup jauni : nous l'avons même un peu blanchi de notre patience...

La passante : Si je m'attendais à vous retrouver ici, artiste des rues battant la semelle dans le ruisseau. Je vous ai beaucoup admiré dans la parodie de "Ben Hur" et dans "Héraclès et ses tigresses indomptables". Quel panache ! Quelle maestria vous aviez alors.

L'illusionniste : Et mon dernier numéro ? Vous n'avez pas vu mon dernier numéro ? "La naissance des dix-huit naïades" ?

La passante : Non, je l'avoue.

Mademoiselle : Vous n'avez pas vu son dernier numéro ? Ah, madame ! D'un chapeau-claque, il faisait apparaître des elfes et des ondines aux berges d'une rivière de diamants qu'Alcyon effleurait de son aile. Pour célébrer sur les fonts baptismaux la naissance de dix-huit naïdes, l'échanson des dieux venait servir le philtre qui transformait les larmes en or pur. Assistaient aussi aux cérémonies soixante-douze douzaines de sylphides callipyges soumises et rangées, un demi-quarteron de rosières vêtues comme à carême-prenant, un banc de sirènes fétrillantes et argentées qui apprenaient la valse à des albatros empruntés, soixante-quinze mille déesses cosmopolites glissées dans de hautes bottes de cuir bleu, et des myriades de figurants dociles, priant avec ferveur, à genoux aux pieds d'Omphale triomphante. Il faisait descendre le serpent du caducée, sortir l'hydre de l'Herne et tous les loups de Paris.

La passante : Et voici ce que vous êtes devenu : vous avez remonté une troupe et vous battez le pavé ?

L'illusionnsiste : (Désabusé.) J'apprends à monsieur à élever des baleines et j'emploie mademoiselle que je paie au cachet pour me faire valoir. Faire ça ou peigner la girafe... La girafe ne voulait plus qu'on la peigne : elle voulait en plus qu'on la laque ! Vous voyez d'ici le tableau ?

La passante : Eh bien, je vous souhaite bon courage ! La concurrence est impitoyable. Vous devriez vous mettre en pleine lumière au lieu de végéter sous la lueur blafarde de ce fanal oublié. Tenez, pour la nourriture des baleines...

(Elle ouvre son porte-monnaie et lui tend une pièce, puis elle tourne les talons et s'en va, son journal sous le bras.
L'illusionniste la rappelle.)

L'illusionniste : Madame ? (La passante se retourne.) Puisque vous aimez tant les mots croisés : en sept lettres : fit montre d'ironie. Ne cherchez pas. Vous n'excellez pas dans les passés simples. Pour ce qui est du trois vertical qui vous a battu à plate couture dans le journal, c'est "déroba". Nous ne l'avons pas noté car nous manquons cruellement de stylo-bille. Ne nous remerciez pas et hâtez plutôt le pas si vous ne voulez pas essuyer l'orage. Ou si vous ne voulez pas qu'on dise de vous : "Elle essuya l'orage" ou bien encore : "Elle eut à essuyer l'orage".

(A suivre.)

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