L'illusionniste : Très bien. Voulez-vous à présent refermer cette poubelle ? Ah ! Voici que la
pluie nous surprend en pleins préparatifs. Voici donc l'art au service d'une cause humanitaire : c'est devenu courant. Quelle est l'urgence ? S'abriter. Pourquoi ? Parce que nous attendons,
dehors, sous la pluie. De quoi avons-nous besoin ? De parapluies. Monsieur (Il désigne l'horloger) n'en a pas encore en rayon ? Qu'à cela ne tienne. Comptez sur moi, comptez avec moi :
un, deux, trois !
(Il frappe avec le plat de sa main sur le couvercle de la poubelle, le retire, plonge son bras à l'intérieur, en sort un premier parapluie qu'il tend à l'horloger, puis un second avec lequel
il s'abrite.)
Et voilà ! Nous sommes trois mais les concepteurs du tour n'ont prévu que deux parapluies. Mais peu importe, celui-ci saura nous accueillir, mademoiselle, et vous et
moi.
(Il invite mademoiselle à s'approcher et à s'abriter sous le parapluie, ce qu'elle accepte.
Un groupe de passants arrive alors en applaudissant et en scandant : "Bravo, Manolo !"
Chacun s'abrite avec des moyens de fortune : l'un avec un sac en plastique ; un deuxième a remonté sa veste sur la tête ; il y a même la passante cynique qui s'abrite sous son journal. Quelqu'un
dit : "Un autographe, Manolo, s'il vous plaît.")
Vous n'avez toujours pas de quoi écrire ? Rassurez-vous : voici donc l'art au service d'une cause humanitaire : c'est devenu courant. Quelle est l'urgence ? Ecrire. Pourquoi ? Pour faire plaisir
au public. De quoi avons-nous besoin ? De stylos-billes. Comptez sur moi. Comptez avec moi : un, deux, trois !
(Il frappe avec le plat de sa main sur le couvercle de la poubelle, le retire, plonge son bras à l'intérieur et fait jaillir des dizaines de stylos-billes et de crayons de
couleurs.)
Et voilà ! Il ne fallait qu'un seul stylo-bille mais les concepteurs du tour en ont prévu des dizaines. Voyez au passage comment la vie est faite !
(Il signe des autographes sur les papiers qu'on lui tend, pendant que mademoiselle tient le parapluie.)
Et n'oubliez pas : mon spectacle est parrainé par une marque de parapluies dont
monsieur (Il désigne l'horloger) est le représentant. Je vous le recommande personnellement. Accordez-lui toute votre confiance.
(Le groupe de passants se retire.)
Heureux instants. J'ai retrouvé le goût du spectacle et j'ai regagné l'estime du public. Et par ricochet dans l'eau, j'ai posé la première pierre de votre nouvelle boutique, monsieur
l'ex-horloger. Désormais, il suffira d'un peu de pluie pour vous renflouer. Un peu de pluie seulement. Un peu de pluie fera luire les rues tout en les parfumant ; en argentera non seulement les
angles mais aussi votre compte en banque. Cela vous suffira-t-il ?
L'horloger : Beaucoup plus amplement que je ne l'aurais souhaité. Je ne sais comment vous remercier...
L'illusionniste : Ne me remerciez pas.
(On entend une voix de la coulisse : "Monsieur, nous voudrions acheter des parapluies.")
(A suivre.)
Photo Phil. C.
"Il ne fallait qu'un seul stylo-bille mais les concepteurs du tour en ont prévu des dizaines..."
(Agence)