Personnages :
L'homme
La femme
La femme au micro
L'homme à la caméra
Le testeur d'haleine
PREMIER ACTE
Un homme marche sous la pluie dans une rue très étroite. D'une main, il tient un grand sac joufflu et gonflé d'on ne sait quoi. De l'autre, il tient le parapluie qui l'abrite. Calé sous son bras, un gros récepteur-radio duquel s'échappe le cordon d'alimentation électrique. Tout au bout du cordon, la prise traîne au sol. Glissé dans les doigts de la main qui tient le parapluie tintinnabule un trousseau de clefs.
La démarche de l'homme est lourde ; son visage est anxieux.
Il est vêtu de gros habits d'hiver, chaussé de mocassins éculés. Sa chemise, échappée du pantalon, lui donne un air négligé. Après "s'être fait petit" pour laisser passer quelqu'un d'imaginaire, s'être plaqué contre le mur pour donner libre cours à quelqu'un d'autre, tout aussi illusoire ; après avoir levé la tête pour éviter une hypothétique tuile, il se retourne en arrière. Puis se retourne encore une fois. Puis une autre. Compulsivement. Sa démarche devient de plus en plus moins assurée.
Une femme arrive en face. Elégamment vêtue. Doigts fins et longs. Ongles laqués rouge.
L'homme arrête ses "incessants" mouvements de la tête pour la regarder. Il baisse les yeux ; son regard est fuyant. Il la regarde de nouveau.
Ils s'arrêtent tous les deux.
L'homme : Je n'aime pas me raser. Tous les jours, couper les poils sur les joues, le menton, pff... Et tous, ils repoussent quand même... Ca m'exaspère... Il faut aussi se laver...
La femme : C'est intéressant... (Elle s'assoit à même le sol. Désignant le sac :) Qu'est-ce que c'est ?
L'homme : Est-ce qu'on sait ? Vous ne croyez pas que je manque cruellement d'à-propos ? Il y a des gens qui ont l'esprit de répartie. Je les admire. Ils répondent ce qu'il faut, quand il faut. Il y a toujours un mot qui convient, seyant en toutes circonstances. Une réponse précise. Une remarque judicieuse. Un trait d'humour. Une saillie pertinente.
La femme : Vous n'êtes pas celui que vous dites : raseur. On rase gratis, c'est vrai. Pour qui, on sait. Pourquoi on sait pas.
L'homme : Alors, vous restez ?
La femme : On ne parle pas d'amour, hein ? C'est entendu ?
L'homme : On ne parle pas d'amour.
(Il est toujours empêtré avec son sac, son parapluie, son trousseau de clefs, son récepteur-radio et le fil qui traîne.
Un temps.)
Alors, on parle de quoi ?
La femme : On n'est pas obligés de parler.
L'homme : On pourrait attendre.
La femme : Oui, mais quoi ? Qui ?
L'homme : Godot.
La femme : Vous savez bien qu'il ne vient jamais.
L'homme : Peut-être que, lassé de ne pas venir, il viendra enfin.
La femme : Ce serait contraire aux écritures. Sérions plutôt les problèmes.
L'homme : Ils sont nombreux.
La femme : Préoccupants.
L'homme : Déconcertants.
La femme : Ah !
L'homme : On ne sait pas bien parler et on n'a pas envie d'attendre. C'est terrible, non ?
La femme : Oui.
(A suivre.)