10 décembre 2008 3 10 /12 /décembre /2008 16:07

Le testeur d'haleine : Pourquoi n'êtes-vous pas venus à la petite sauterie, au petit pot-aux-roses organisé à l'occasion des rois que l'on donne dans l'autre aile d'ici là-bas ? J'ai pu examiner tout le monde d'un seul coup d'oeil à vue de nez. Tout le monde avait bouche bée devant les petits fours et le mousseux.

L'homme : C'est que je ne suis pas très groupiste. Je ne suis pas invitable. Je m'y tiens très mal, à table... Et puis je me méfie des pots, des rots, des mets, des pets. Les rots après les mets et les pets avant les pots.

La femme : Moi, je n'aime pas les rendez-vous convenus, pas plus que je n'aime plus que lui les tables quand il faut s'y mettre pour manger, multiplier ou diviser. Trop de visages masqués et pas de loup. Et puis, c'est très révélateur la manière dont on mange : toute notre pauvre condition s'échappe. Il ne faut surtout pas essayer de biaiser. Chassez le naturel : il revient au galop !

L'homme : Et peut-on quand même savoir qui a été sacré roi à cette auguste assemblée ? Il y avait du monde au moins ?

Le testeur d'haleine : Quelques femmes en pressoir, en sautoir, en éteignoir et en dressoir, et quelques hommes en couronne. Mais rassurez-vous, l'inventeur de la poudre, lui non plus n'est pas venu. Il a adopté la politique du trône vide. C'est dommage, il y avait une femme qui n'était venue que pour lui. Il avait de l'entregent ; elle avait de l'entrejamble : ils se seraient bien entendus. Il n'est pas venu car il n'est pas d'accord avec une citation dans l'air du temps : "La vie, c'est comme de l'eau : si vous mollissez la main, vous la gardez ; si vous la raidissez, vous la perdez."

L'homme : Il a raison de ne pas être d'accord. Vous êtes un sage, monsieur le testeur d'haleine. Saurez-vous me dire comment on doit serrer la main des gens pour les saluer et prendre congé ? Nous n'accordons pas assez d'importance à ça. Mes pauvres poignets ont reçu trop de clous et sans leur force, j'ai l'impression de tendre une queue de poisson.

Le testeur d'haleine : Et bien, ne cherchez pas à tricher. Qu'est-ce que ça veut dire une poignée de main bien franche ? Que quelqu'un essaye de faire pression ? Je ne crois pas. Ceux qui ont le coeur sur la main savent comment il faut serrer. Joindre la parole au geste n'est plus qu'un jeu de société amusant. Il se peut dire : "Il n'est de bonne compagnie qui ne se quitte.", "On met les voiles, les bouts ; allez, on y va, on décolle ; je vous laisse. Ravi de vous avoir rencontré. C'est entendu. Cher amis, bonjour et à demain si vous le voulez bien ; à lundi si le coeur vous en dit. Merci infiniment. Au revoir et à bientôt." Bilan pratique : voici une main tendue.
(Il tend la main.
Notre homme la serre et dit : "Ravi de vous avoir rencontré.")
Pour les dames, c'est différent. Une poignée de main sans chevalière fait un peu cavalier seul. On peut dire : "Mes hommages, madame. Je suis votre obligé, votre avaliste, votre débiteur. Madame, je suis votre serviteur. Révérence." On peut humblement effleurer de ses lèvres le dos de leur main. Ou bien encore faire claquer sa lippe sur les joues rebondies en enserrant de ses bras les frêles épaules du tout petit pauvre sexe faible. Bilan pratique.
(Il tend ses bras vers la femme et l'embrasse copieusement.)
Au plaisir, monsieur.
(Il lui serre la main.)
Mes hommages, madame.
(Il l'embrasse copieusement.
Se ravisant :)
Vous m'avez été sympathique ; ne bougez pas, ne changez pas. Je vais vous chercher quelques reflets et reliefs de la fête. Là-bas. Fève, petit-four, boudoir, galette ou bouteille. Ce qu'il restera. Je reviens de ce pas.

(A suivre.)

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