L'homme : Vous ne pensez pas que nous avons été médiocres ?
La femme : On nous l'aurait fait savoir.
L'homme : Il faut absolument faire savoir qu'on ne nous l'a pas fait savoir. Il faut convoquer les mass-média, la presse, écrite, parlée, vomie... Où est la fine équipe ?
La femme : La belle !
L'homme : Elle s'est fait la belle ?
La femme : La "belle" équipe !
L'homme : Ah oui, la belle équipe. Où est la belle équipe ?
La femme : Et qu'allez-vous leur dire pour les intéresser ? De quoi allez-vous parler ? D'un suicide, d'un accident, d'un enterrement ou d'une maladie ?
L'homme : Je leur réciterai des bouts de phrases retenus ici ou là.
La femme : On va vous demander des chiffres.
L'homme : Je hais les chiffres. Mais je leur donnerai ceux du taux d'emprunt de mon pré, de l'abandon d'intérêt et du report d'échéance, plus quelques combinaisons, codes et
numéros. Je leur dirai que que je connais une très belle comédienne, mi ange, mi démon, entre le vice et la vertu ; ses mesures, sa stature, son amplitude, son altitude, son envergure ; je
les alerterai sur le thème du carnaval. Ils feront avec.
La femme : Quel est le thème du carnaval ?
L'homme : La peine de mort.
La femme : Il se dit que dans ce pays la justice est mal rendue. Est-il vrai ? Qu'en est-il ?
L'homme : Vous ne voulez pas que nous parlions d'autre chose ? Je leur dirai aussi que je sais lire.
La femme : Et que vous lisez quoi ? La vie des saints ? La vie des stars ? La vie des bêtes ?
L'homme : La vie des saints stars un peu bêtes. Et vous, maintenant que vous savez écrire, où allez-vous faire courir votre plume ?
La femme : Dans "La voix du Castrat" devenue "La voix de son maître".
L'homme : Vous avez compris bien des choses. Je suis le roi des cons. Je suis un triste sire concis. Bref... Alors, vous voulez un morceau noble : la sotte-l'y-laisse.
La femme : Je crois que l'on n'a pas besoin de la belle équipe pour tenir les 36 chandelles que je vous dois. On peut très bien se passer d'elle. Vous vous êtes tirés à quatre
épingles tirées du jeu des sept familles complètes. Gardez tout ça pour vous.
L'homme : Ca sent ici le cuir et là une odeur de ménage. Ca pourra faire bon ménage ?
La femme : On peut faire un bout d'essai. Regardez le fiacre ! Allez, fouette cocher !
L'homme : Je me souviens d'une prière, mais je ne sais plus qui l'a écrite :
"Ma lucidité, ma chair à vif
Ma fait cruellement souffrir.
Qu'on me donne le confort de l'âme
Et la quiétude de l'esprit.
Pitié.
J'implore le pardon des fautes
Que j'aurais dû commettre.
Pauvre scribe éreinté de coups.
Je me grise de mots, de vin, de viande.
Je veux être joufflu et pompeux ;
Gras et verbeux ; insolite.
Je ne veux pas rester comme les autres.
Qu'on me fouette à vif, au sang.
Que mes pleurs et douleurs soient au moins motivés.
Qu'on fasse mienne la ferveur du Christ.
L'ardente prière jaculatoire
Juste après l'introït.
Que je puisse aimer sans frein
La vie, les gens, le monde.
Que ma bouche soit riche
De la soif enfin apaisée de ses lèvres.
Et ma tête sereine."
(Un temps.)
La femme : Il faut finir.
L'homme : En queue de poisson, happy end, à la Molière, en fin ouverte, à toutes fins utiles, sauf bonne fin ?
La femme : Eh !
L'homme : On va biaiser, vous êtes d'accord ?
(Regard d'une grande intensité.)
La femme : Je suis d'accord.
FIN