Sa voix était sculptée à la nicotine. Sans jouer les "pères Lavertu" et les concierges, tout pouvait laissser penser que c'était le cancer du fumeur qui avait emporté Macha Béranger. Or, c'est un fichu cancer du sein qui a fait son travail de sape. La vie,
cette bougresse, n'en fait qu'à sa tête, ne fait que ce qu'elle veut. La mort, sa soeur jumelle a elle aussi un sacré caractère.
Suite de l'entretien du 7 octobre 1999.
"Une grande incommunicabilité entre nous."
"- Cet été, j'ai vécu quelque chose d'assez particulier. Ma mère était hospitalisée ; mon père aussi, et donc la maison qu'ils habitent est devenue toute vide, et
pour moi, c'était quand même mon port d'attache. Je rentrais le week-end, et parfois en semaine. Il est vrai que cette maison vide m'a angoissé. Une grosse mélancolie noire s'est emparée de moi ;
c'était une situation nouvelle et inédite, et angoissante. Et c'est là que j'ai compris qu'il fallait que je fasse quelque chose, que je bouge, sinon j'allais tomber
dans...
- Il faut vous faire une vie, bien sûr, mais enfin, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Vous n'avez pas été préparé à votre indépendance et à
construire quelque chose...
- ... et effectivement, je n'ai pas pu me réaliser en fait, puisqu'elle a toujours dicté les actions que je devais mener...
- Oui, mais attendez, Joël, vous avez toujours obéi...
- Oui, par bonne éducation peut-être... [sic !]
- Non, ce n'est pas de la bonne éducation, ça devait vous arranger parce que si vous aviez su réagir, votre mère aurait suivi. C'est à dire que vous avez une relation très très forte, très
passionnelle avec votre mère, et si vous avez obéi, c'est parce que ça vous convenait ?
- Oui, sans doute... J'ai peut-être joué la politique de l'autruche.
- On dit "une mère castratrice" si on veut bien être "castré" (Rires.) Si on réagit un peu, la mère castratrice est intelligente, en général, et finalement, suit un petit peu pour ne pas
perdre son fils. Elle acceptera aussi qu'il s'en aille ; elle aimera la femme qu'il aimera, enfin... elle fera des concessions. Mais si on vous a toujours dit "non"... On vous a toujours dit
depuis que vous étiez tout petit "non" ?
- Oh ! Oui, oui...
- D'accord. Donc, c'est un mode de fonctionnement que vous avez adopté très tôt.
- Il y a des choses qui se sont imprimées dans le cortex, on va dire, et donc, on en arrive à se dire : "C'est ainsi et pas autrement ; il ne peut pas en être autrement."
- L'idée de quitter votre mère, est-ce que ça vous désespérait ?
- (Court silence.) Pas vraiment, non.
- Pas vraiment. Donc, vous avez été quelqu'un de soumis et de consentant.
- Oui, tout à fait.
- Par amour pour elle, par tendresse, par respect ?
- Oui, je pense, oui. Et puis il y avait une grande incommunicabilité entre nous, hein, malgré tout. Les images que je garde d'elle, c'est des images tendres, de sorties, de balades, mais nous n'avons jamais communiqué vraiment. Je n'ai jamais pu lui dire ce que je ressentais vraiment.
- Parce qu'elle ne vous a pas permis de vous exprimer.
- Oui, et je me rends compte aujourd'hui, avec le recul, que je ne peux pas dire : "maman"...
- Ah bon ?
- Je ne peux pas. Et ça, je... Je...
- C'est un mot qui vous...
- ... ah oui, qui m'écorche les lèvres. C'est affreux.
Je ne peux pas dire ce mot-là. Je ne sais pas pourquoi. Il y a peut-être une explication freudienne à ça, mais je me pose des questions. Je n'arrive pas à savoir pourquoi. Donc, on s'appelle
de façon "interpellative". Avec mon père, c'est pareil. C'est à dire, lorsqu'ils s'appellent, ça donne du "Oh ! tu es là ?"
(A suivre.)