C'était toujours le même
rituel. Macha Béranger, un chapeau vissé sur la tête, arrivait au studio de la Maison de la Radio. Elle allumait une lampe qui, seule, trompait
l'obscurité. Mais "le point le plus obscur n'est-il pas sous la lampe" ?
Parfois, on entendait à l'antenne le son très ténu d'un briquet qui allumait une cigarette.
Oedipe, son chien, restait sagement à ses côtés.
Suite de l'entretien du 7 octobre 1999.
A-t-on le droit d'en vouloir à ses parents ?
"- Alors quelles sont vos relations avec votre mère, maintenant, Joël, qu'elle est souffrante ?
- Elle est souffrante, elle est très diminuée. Elle a l'obsession de ne pas savoir s'habiller, alors qu'elle s'habille très bien, et elle a peur de manquer d'argent. Or, elle n'a
jamais manqué d'argent. Elle n'a jamais fait d'ardoise, elle a toujours payé convenablement.
- Non, mais elle a une obsession qui est un peu phobique, voilà. C'était une femme avec un caractère très fort, très autoritaire ?
- Oui, oui, absolument. Très impulsive.
- Est-ce qu'elle vous a effrayé parfois ? Si vous avez obéi, c'est qu'elle vous impressionnait ?
- On peut intégrer cette relation dans un rapport amour/haine.
- Vous avez été quelqu'un de soumis et d'impressionné.
- Je me demande
toujours : "A-t-on le droit d'en vouloir à ses parents ?" Est-ce qu'on a vraiment le droit ?
- Je ne crois pas. Sauf dans des cas extrêmes. Mais bon, les parents ont un caractère ; nous avons le nôtre. Le difficile entre les parents et les enfants, c'est que les enfants doivent
s'affirmer par rapport aux parents, et qu'à un moment donné, il doit arriver un équilibre, mais il y a toujours une période d'affrontement. Elle est logique, elle est normale d'ailleurs, c'est
vrai. Il doit y avoir une période de réaction par rapport à la famille qui n'est pas forcément négative, au contraire, parce qu'après, ça s'arrange. Parce que être soumis complètement à ses
parents, ce n'est pas non plus une bonne attitude parce qu'elle ne vous permet pas de développer votre personnalité, votre personnage dans la vie. Donc, on doit
aimer ses parents, mais on ne doit pas tout accepter de ses parents. Il faut être
un peu rebelle par rapport à ses parents.
- Oui, mais je pense que le déterminisme dont ils disposent doit être bien employé. Si ce déterminisme est axé et dirigé vers une forme d'éducation qui n'est peut-être pas
forcément la bonne, c'est là où ça peut pécher...
- Oui, mais il n'y a pas de parents parfaits comme il n'y a pas d'enfants parfaits, vous savez... Mais vous, ce qui est ennuyeux, c'est que vous avez subi l'autorité de votre maman très très
jeune, et ça ne vous ait jamais venu à l'idée de réagir ?
- Non... Si... J'étais parfois exaspéré. J'essayais d'élever la voix, gentiment, mais...
- Et vous n'avez jamais eu le réflexe de partir, parce que vous avez eu peur de lui faire de la peine ?
- Oui... Non... Oui, il y avait ça. Et puis, je me voyais mal partir, mal m'assumer, avoir une indépendance... J'ai eu très peur...
- En fait, sans le vouloir, votre maman vous a infantilisé, en tant qu'homme, vous avez eu des réactions de peur vis-à-vis de l'extérieur.
- Absolument.
- Parce qu'elle vous a infantilisé, consciemment ou inconsciemment, je ne sais pas, mais elle vous mettait en dépendance, oui.
- Oui, c'est l'image du petit oiseau qui est en cage, à qui on apporte de la nourriture. Il se débat, il crie, il ne veut pas rester dans la cage. Bon, il réussit à partir, et puis il a peur des autres oiseaux, il a peur du ciel. Il revient vers la cage parce qu'il a à manger, etc...
(A suivre.)