"On ne savait plus s'il y avait dix lionnes ou onze, tant
elle était arrivée à s'incorporer à ses bêtes"
Pierre Lartigue
Comme un animal en cage.
Avant d'aller plus avant, et pour déblayer une bonne fois pour toutes le stérile débat qui oppose ceux qui
ne sont vraiment pas pour et ceux qui ne sont pas contre les animaux sauvages en captivité, une question s'impose, qui réconciliera tout le monde : que faut-il en penser ?
"Capturés, arrachés à leur milieu naturel, ces bêtes vivent un véritable calvaire" martèlent les détracteurs des zoos et des cirques.
"Sans la domestication d'animaux sauvages, certaines espèces auraient été menacées, voire se seraient éteintes" rétorquent les autres.
Qui faut-il croire ?
Dans son livre "Les fauves et leurs secrets", où tout un chapitre est consacré à Jeannette Mac-Donald, Jim Frey a des
propos qui se tiennent : "Il faut avoir vu un lion récemment capturé, le poil et la crinière arrachés aux épineux, envahi de tiques et de vermine, efflanqué, le cuir zébré de cicatrices, pour
comprendre que les fauves de nos ménageries, et particulièrement ceux de Jeannette Mac-Donald, sont plus heureux que leurs congénères de la brousse.
- Vos lions de ménagerie ? Ce sont des lions de salons, en comparaison des lions "de capture", me disait un jour un piégeur de mes amis." (1)
Peindre ou peigner la girafe.
"Faire ça ou peigner la girafe" entend-on dire pour signifier qu'une activité est inutile, ou impossible. De mémoire d'éléphant, on n'a jamais vu effectuer ce soin corporel
sur une piste de cirque. Il y avait pourtant là un créneau à prendre.
Aujourd'hui, la législation française interdit aux établissements itinérants de posséder des girafes : il existe des risques d'écartèlement lors du transport. Certains pays ont purement et simplement proscrits les numéros d'animaux.
Le rapport de l'homme à l'animal a une thématique forte. Tout est imaginable : danser avec les loups, murmurer à l'oreille des chevaux et laisser pisser le mérinos.
Jeannette Mac-Donald a mis au point un numéro basé sur la complicité et l'amour porté à ses bêtes. Seule, face à un groupe de
dix fauves -neuf lionnes et un lion-, elle exécute avec grâce et élégance des "coups" spectaculaires : elle place sa tête dans la gueule d'un fauve comme elle examinerait une stalactite
dans une grotte ; elle porte sur ses épaules une lionne, comme elle porterait une écharpe ; elle échange un baiser langoureux avec le roi des animaux... Comment ne pas être sous le charme ? Sa
prestation a quelque chose de sensuel, d'érotique presque.
Pierre Lartigue, fondateur du Grand Cirque de Toulouse se souvient : "Dompteuse d'une rare élégance, portant culotte de cheval, bottes noires vernies, chemisier de soie blanche, mains gantées
de blanc, Jeannette avait une allure princière qui fascinait les fauves et les hommes. Elle était vraiment très belle, et on ne savait plus s'il y avait dix lionnes ou onze, tant elle était
arrivée à s'incorporer à ses bêtes."
Jeannette Mac-Donald au Cirque d'Hiver, Paris, 1956. Collection particulière JMD
Une lettre d'un admirateur.
C'est une lettre venue de Belgique, de Bruges très exactement. L'expéditeur l'a adressée à Madame J. Mac-Donald - 36, rue des Cordelières, 36 - PARIS 13 FRANCE. Le scripteur,
circophile averti, a pris soin de noter dans un coin : "Faire suivre". Il a bien fait. Les gens du voyage voyagent. La lettre a été retournée à l'envoyeur, qui, tenace, l'a renvoyée "chez M.
Pardo, agent en douane, à Hendaye". De nouveau, l'agent des postes a biffé la nouvelle adresse et l'a acheminée 64, rue St-Denis, à Aubervilliers (Seine) où elle est enfin parvenue à sa
destinataire.
La lettre est dactylographiée sur un papier à en-tête de G. de B., chirurgien-dentiste, Boulevard Elisabeth, 25 - BRUGES.
Elle dit :
"Bruges, le 17 - 10 56
Madame
Permettez moi de me présenter : je suis amateur de fauves et membre du Club du Cirque Français.
Comme amateur de fauves, je collectionne les photos des dompteurs et dompteuses. Puis je vous demander Madame de m'envoyer une photo pour ma collection ?
Je n'ai pas encore eu le plaisir de voir une séance avec vos lions, mais comme je vais assister en qualité de représentant Belge au congrès international des amis du cirque du 16 au 18 novembre à Rouen et à Paris, l'occasion me sera donnée de venir vous applaudir.
Dans l'espoir de voir votre représentation à Paris, je vous prie Madame d'agréer avec mes remerciements mes salutations très distinguées."
La popularité est indéniable. Jeannette fait imprimer de superbes cartes postales. On la voit dans la cage aux fauves, dans un cirque bondé. De sa main gantée, elle flatte le flanc d'une lionne qui s'avance, féline, sculpturale.
Une légende annonce "Souvenir de passage de Jeannette Macdonald" "L'amie des bêtes". Au dos, il
y a de l'espace pour dédicacer, tracer quelque chose, faire un signe que la dompteuse a posé le fouet et retiré le gant pour signer, entre la mention "Photo véritable" et "Adresse permanente :
64, rue Saint-Denis, Aubervilliers (Seine)".
Si l'attraction séduit, c'est en grade partie dû au fait qu'elle est présentée par une femme, jolie qui plus est. Elle dépare dans un milieu d'hommes. La publicité mise sur cette
particularité.
Le temps a fait son affaire. Le public d'aujourd'hui, blasé, saturé d'images et de sensations, n'est guère plus impressionné par un lion obéissant, tout obnubilé qu'il est par la neige de ses
ordinateurs, et des monstres pixelisés qu'il dompte avec de vulgaires souris !
Mais il ne serait pas étonnant, une fois le tonnerre mécanique et virtuel des nouveaux médias passé, de revenir à des valeurs simples et fortes, véhiculées par des savoir-faire séculaires.
(1) "Les fauves et leurs secrets" Jim Frey. Presses de la Cité. 1957. Page 227