Jeannette Mac-Donald puise l'eau à l'aide d'une "chèvre". (Photo Jacques Madrennes)
C'est un peu
Bogotà.
Les hauts et les bas bois.
Folle, il faut sans doute l'être pour vivre, au XXe siècle, dans des bas bois, sans électricité, sans eau courante, sans téléphone,
isolée avec des bêtes sauvages.
Là-haut, dans les Hauts Bois, tout semble à peine un peu plus civilisé : les jeeps de l'Office National des Forêts patrouillent sur la grande Trace ; le Conseil Général songe à acquérir une
grande partie du poumon pour le rendre encore plus vert, et, si des prompts de la gâchette traquent le sanglier, les plus frileux font pétarader leurs tronçonneuses pour débiter le bois de
chauffage.
Mais revenons à ce qui nous intéresse : les bas bois.
Jeannette a une bonne fois pour toutes serré à fond les freins à main des véhicules de tous tonnages qu'elle prétend avoir aussi bien conduits, permis ou pas, que Charles Vanel et Yves Montand
dans "Le salaire de la peur". Les gros camions, garés à jamais sous les frondaisons des chênes sessiles, contiennent des malles et des cantines closes, et le mystère des
voyages.
Pour se déplacer, Jeannette utilise une
mobylette, à laquelle elle a attelé une petite remorque qui collectionne les points de soudure.
Jeannette a laissé son clinquant dans les coulisses d'un grand cirque universel.
Elle porte haut les vertus du travail. Elle me l'apprendra. Elle m'apprendra à me dépenser.
Femme de tête, de caractère ; femme de corps, de corps à corps, pas myope sur la vie, le bec toujours prêt, ne refusant rien, en mec couillu et volontaire, d'équarrir un veau mort-né pour nourrir
un puissant lion, de tirer l'eau à même la terre, de fendre, de trancher, de se frotter, de balayer les reliquats d'un repas et de ses suites, de rafraîchir la litière des animaux, sans
complexes, d'être vraie, solide et cohérente, d'user d'une énergie inconnue de certains cons.
Née dans la sciure.
Née dans la sciure, Jeannette retourne à la source, au beau milieu des arbres. Avec un peu d'imagination, c'est un peu de l'Afrique en pays toulousain. Avec un peu plus d'imagination, au vu des constructions branlantes faites avec des cageots, c'est un peu Bogotà.
La voix de sa maîtresse.
Des animaux que j'approchai le plus volontiers, sans sauf-conduit pour le service traumatologie des hôpitaux, ce furent les chiens, nombreux. Jeannette n'a jamais su ou voulu dire combien elle en avait. Il faut dire que, régulièrement et sans scrupule, des maîtres intermittents abandonnaient à son portail le meilleur ami de l'homme. Si les conditions de vie n'étaient pas idylliques -les chiens étaient attachés à un arbre ; leurs niches étaient souvent faites d'un vieux bidon- au moins avaient-ils leur pitance quotidienne et la caresse d'une authentique amie des animaux. La meute ainsi composée était l'ensemble philharmonique le plus actif de la région. Et la dompteuse ne parvenait pas toujours à faire cesser ces oratorios, malgré de rugissants "Couché ! Enfants de trente-six mères !".
Hiérarchie canine oblige, tous ces bâtards n'avaient pas le même régime de faveur :
Négresse dormait dans la caravane, grimaçante comme un mandrill, émettant une mélopée jappée indescriptible ; Lady n'aimait rien d'autre que de s'endormir, roulée en boule au
milieu d'un gros tas de feuilles mortes ; Rex et Airsus, bons gros toutous toujours crottés et pattes folles, semblaient rire en aboyant, et Juliette, élégante teckel
au poil lisse était spécialisée dans la nursery pour lionceaux...
Il ne manquait plus au tableau que le fox-terrier Nipper, la mascotte de la firme Pathé-Marconi "La Voix de son Maître" : un son qui a du chien et un chien qui a du
son.