Carnet noir
Autre sort, autre destin et pour la coupure de presse, et pour le triste évènement qu'elle relate. La coupure de presse est non datée ; je l'ai glissée dans mon cartable entre un précis de
grammaire et un manuel de mathématique aux arêtes trop saillantes. Je voulais parader aux yeux de mes camarades de collège, leur prouvant que, si je ne savais toujours pas comment on faisait les
enfants, j'étais incollable sur la gestation des lionnes. Or, le fragile papier journal ne fit pas le poids devant les sécantes anguleuses du livre de math. C'est la colonne de gauche qui a
été atteinte, rongée par le frottement algébrique.Qu'à cela ne tienne, je tente une prothèse lexicale :
"Pas d'heureux évènement au zoo de Buzet-sur-Tarn.
Angelina, la lionne qui devait subir une césarienne, est morte pendant l'anesthésie.
... zoo de Buzet-sur-Tarn, Mme Jeannette Mac-Donald, la propriétaire de l'établissement pleure la mort d'une de ses pensionnaires. Angelina, magnifique lionne du Soudan, était née en 1972 à Bordeaux ; elle formait avec Clarence, un mâle de 6 ans, belle masse de ... Un couple sans histoire, si bien que l'on attendait pour ces jours-ci un heureux évènement qui devait augmenter le nombre de bêtes au zoo de Mme Mac-Donald.
Or, les choses ne devaient pas se passer aussi bien qu'on pouvait l'espérer, des difficultés se sont multipliées et, dès dimanche en soirée, le docteur Agard, vétérinaire à Montastruc-la-Conseillère décidait de pratiquer une césarienne, seul moyen de libérer Angelina et de ... ues. Les lions, pour si vigoureux... qu'ils soient, ont un appareil... fragile, celui de la lionne de ... l'anesthésie et la pauvre... même que commence l'in-... dans sa cage, sans avoir... se jouait à quelques... se passait quelque... par on ne sait quel phénomène propre aux animaux, il était attentif aux bruits et aux mouvements, au va et vient de ces curieuses bêtes à deux pattes que sont les humains. "Il sait déjà, nous dit Mme Mac-Donald, que sa compagne ne reviendra pas dans la cage contiguë, il y a dans son regard et dans son comportement de la tristesse et, déjà, l'ennui se manifeste."
On peut regretter que le zoo ne soit pas équipé en éclairage électrique, mais c'est tellement onéreux ! S'il y avait eu, dimanche soir, une lumière suffisamment intense, peut-être que l'intervention chirurgicale nécessaire aurait pu être pratiquée plus tôt avec des chances, pour Angelina, de survivre.
La souffrance qu'elle a endurée l'avait affaiblie et ne lui a pas permis de résister aux drogues qu'il a bien fallu lui injecter pour l'anesthésier.
Le problème, maintenant, est de trouver pour Clarence une nouvelle compagne avec laquelle il fasse aussi bon ménage qu'avec Angelina, et l'expérience montre que cela n'est pas plus facile pour les lions que pour les hommes."
"La Dépêche du Midi"
- Indatable. Appel à témoins.
"Le fragile papier journal ne fit pas le poids devant les sécantes angulaires du
livre de math. C'est la colonne de gauche qui a été atteinte, rongée par le frottement algébrique."
Le docteur Jean-Louis Agard se souvient : "A la suite de la mort d'Angelina, Clarence était seul dans sa cage, avec plus d'espace certes, mais seul. Les voisins me disaient souvent que les
lions n'arrêtaient pas de rugir. En fait, c'était Clarence. Clarence ne mangeait presque plus, maigrissait. J'ai tenté de le soigner comme j'ai pu en fonction des troubles digestifs qu'il
manifestait. Rien n'y fit et deux à trois mois plus tard, il mourut sans que je comprenne ce qui se passait. Craignant une péritonite tuberculeuse, je demandai l'autorisation de l'autopsier à
Jeannette. Celle-ci m'ayant permis l'intervention, je pus constater une péritonite consécutive à la perforation d'un ulcère à l'estomac. Ma conviction est que Clarence est mort de chagrin, par
cet ulcère de contrainte ; il n'a pas supporté de se retrouver seul après la disparition de sa compagne. Ce fut une grande leçon pour moi !
J'ai souvent eu à soigner des
fauves pour Jeannette. Autant il m'est arrivé d'avoir peur face à des chevaux, des vaches, des chiens, des truies dans le courant de ma profession, autant j'ai toujours été rassuré en travaillant
avec Jeannette qui connaissait chacune de ses "bêtes" sur le bout du doigt".